Un film assez largement surestimé grâce à ses séquences finales qui sont absolument abominables et qui donnent, peut-être mieux que des images de violence extrême, l’idée de ce qui a pu saisir des gens de toute sorte entraînés malgré eux par un cataclysme.
Dans un stade qui pourrait évoquer le Vel d’Hiv de juillet 1942 mais qui est à l’air libre, voilà une sorte de flot immonde que les autorités poussent, comme ils le feraient d’ordures, vers une affreuse conclusion. Mais pour en arriver là, que de circonvolutions ! Et beaucoup d’entre elles ne se rattachent pas aux horreurs qui ont existé en France au milieu de la Guerre.
Mais on pourrait aussi, avec un certain iconoclasme accoler au film l’adjectif rocambolesque, tant les péripéties de l’histoire de Robert Klein sont variées, aventureuses, improbables, font appel à des multitudes de hasards dont le nombre et la variété mêmes rendent improbables, impossibles, même, la survenue. On peut apprécier, je le conçois bien, ce mélange de récit ancré dans l’Histoire proche et affreuse et d’une forme d’onirisme qui s’attache aux pas de cette fripouille de Robert Klein.
Car, de fait, Robert Klein – à qui Alain Delon prête la fréquente tristesse de son regard et son allure inquiète – Robert Klein, qui vit sur un grand pied d’un commerce d’objets d’art est une fripouille. Un type qui n’est attaché à rien d’autre qu’à ses plaisirs ; qui n’a ni véritable ami, ni véritable amour, ni la moindre conviction politique ou spirituelle. Évidemment issu d’une vieille famille opulente, établie en Alsace mais sans doute originaire de Hollande et peut-être (sans doute) d’ancienne extraction juive, il s’est établi à Paris où ses affaires prospèrent. Il a des proches : son avocat, Pierre (Michael Lonsdale), dont la femme Nicole (Francine Bergé) a été (et sûrement demeure) sa maîtresse et son amie du moment Jeanine (Juliet Berto). Mais on sent que ce sont là des relations de commodité : Robert Klein n’aime que lui.
Il y a un engrenage assez fascinant où cet homme sans autre qualité que d’être sans scrupule et sans affectivité est entraîné dans un processus diabolique. On sait bien, pour le lire dans les gazettes combien l’usurpation d’identité est un phénomène glaçant, déstabilisant, désespérant. Et sans doute plus encore lorsque cette situation se produit à un moment trouble, incertain, dangereux, mortel, même pour qui est reconnu Juif ou simplement suspecté de l’être.
Dans ce genre d’époque le moindre mouvement, le moindre geste paraît engluer davantage celui qui l’exécute ; un peu comme pour les malheureux pris dans les sables mouvants : chaque démarche conduit Robert Klein à être un peu plus suspecté par la police de Vichy. D’autant qu’un mystérieux homonyme paraît le manipuler ; résistant qui se crée ainsi un double et des alibis ? C’est possible ; mais là où Monsieur Klein bascule possiblement dans l’onirisme, c’est que l’existence de ce double-là n’est jamais absolument avérée. Et ce n’est sans doute pas l’épisode féérique de la visite de Klein au château d’Ivry-la-Bataille, où semble vivre une famille de la haute aristocratie dirigée par Charles (Massimo Girotti) et Florence (Jeanne Moreau) qui semble vécue comme un rêve qui nous ancrera dans la réalité objective.
Psychose de Robert Klein ? Envahissement d’une culpabilité que rien ne pouvait laisser jusque-là laisser supposer ? Comment expliquer alors que, tandis que Pierre/Lonsdale brandit à la dernière minute le certificat qui prouve que Klein n’est pas juif et qu’il va pouvoir être libéré, il se laisse entraîner dans le flux des malheureux qui vont être entassés dans les trains de l’horreur ?