S’il n’y avait pas eu les deux très intéressantes réalisations de Jean Delannoy, avec Jean Gabin dans le rôle titre (Maigret tend un piège et Maigret et l’affaire St-Fiacre), il y a longtemps que je ne croirais plus en la possibilité d’adapter un roman de la veine policière de Georges Simenon. (J’écris veine policière, parce que c’est loin d’être la seule : Le Chat, La veuve Couderc, Le train par exemple, ne sont pas de cette manière là). Et en tout cas ce n’est pas Monsieur La Souris qui me ferait douter ; il est vrai que, trop compliqué pour être honnête, ce n’est sûrement pas un des meilleurs romans du Liégeois.
Il y a quelques grands acteurs à qui les réalisateurs ne doivent pas lâcher la bride, parce que si on les livre à eux-mêmes, à leurs tics et à leur cabotinage, ils vont vers leur pire pente, celle de la facilité : trop souvent Fernandel, qui peut être sublime quand il est tenu, est tombé dans des nouilleries honteuses ; et Jean Gabin aussi, à la fin de sa carrière ; et Louis de Funès avait si bien compris ce principe que, dès le succès venu, après ses années de vache enragée, il s’est toujours refusé à passer sous la férule, ce qui fait qu’il n’aura tourné aucun grand rôle, au contraire de Bourvil, par exemple.
Laisser Raimu faire du Raimu, c’est, assurément, assurer au film à la fois un grand confort de tournage et un certain succès populaire, la plupart des spectateurs ne venant pas pour être surpris, mais pour être rassurés dans leur confort intellectuel (enfin, intellectuel, si l’on peut dire).
Dans Monsieur La Souris, Georges Lacombe laisse Raimu baguenauder, se tortiller, faire des effets de voix à qui mieux mieux ; je ne dis pas que ce serait désagréable s’il n’y avait pas en arrière-plan une intrigue policière à la fois très compliquée et plutôt mal fichue, où l’on devine d’emblée que les coupables présumés et évidemment désignés ne sont pas les meurtriers espérés, tout aussi évidemment, et que, donc, c’est l’individu le moins susceptible d’être suspecté qui manigance tout le toutim.
Je répète que ce genre de finesse maladroite, si fréquente dans les romans policiers, n’aurait pas d’importance si le rythme du film était allègre et les péripéties bien montées. Ce n’est vraiment pas le cas.
Qu’est-ce qui reste alors ? Malgré ce que j’ai écrit plus avant, la faconde de Raimu, qu’on aime, même quand il en fait trop, la silhouette guindée d’Aimé Clariond, la papelardise de Charles Granval (le libraire Lestingois de Boudu sauvé des eaux) et l’excellente création de René Bergeron en Inspecteur Lognon, parfait dans le genre dévoué, borné, suspicieux et pète-sec. Une tête parfaite d’ancien adjudant de la Coloniale, sortie des écrans en 1944 pour cause de trop grand copinage avec Robert Le Vigan…
Ah ! J’allais oublier la bouille fripée d’Aimos, en clochard lunaire qui porte le sobriquet de Monsieur Cupidon, ce qui est particulièrement rigolo quand on ait de quoi vivait l’artiste pendant l’Occupation et ce pourquoi, dit-on, il fut abattu sur une barricade, le 20 août 1944 au cours de la Libération de Paris.