Mortelle randonnée

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Serrault obsessionnel, Adjani hallucinée

À chaque fois que j’ai vu Mortelle randonnée – et Dieu sait si c’est souvent – je me suis émerveillé que le caractère volontairement artificiel du récit, des dialogues, des décors, et même aussi du jeu des acteurs, qu’il soient, comme Adjani et Serrault au premier plan de la réalisation, ou au second, comme Stéphane Audran ou Sami Frey (et plus encore Geneviève Page), que ce caractère puisse ne pas paraître faux, mais qu’il débouche sur une hallucination que le spectateur partage.

vlcsnap-11493507Pour ne pas l’avoir lu, j’ignore ce que pouvait être le livre de Marc Behm dont est issu le film ; mais j’imagine assez qu’il y a eu une sacrément bizarre alchimie, une noire alchimie, pas forcément très rassurante entre Michel Audiard, qui venait de perdre un fils et Michel Serrault qui venait de perdre une fille. Dans ce road-movie improbable, à l’invraisemblance parabolique, l’intensité d’une même douleur démente est présente à chaque instant.

mortelle-randonnee-est-il-le-thriller-francais-le-plus-desespere,M242353Est-ce aller trop loin que de parler de Chemin de croix gravi par deux êtres qui n’attendent absolument rien de la vie, Catherine parce qu’elle sait depuis toujours qu’elle est vouée à la nuit, à la fuite, à la mort, l’Œil parce que son existence, à lui, s’est arrêtée du jour qu’il a reçu la photo de la classe de Marie, et parce que le but de ses dernières années est d’entrer dans la photo, ce qu’il réalisera à l’extrême fin du film, sous le regard enfin apaisé de la femme qui l’a quitté sans lui laisser d’autre raison de subsister que cette espérance de la fin.

Isabelle Ho (2)Aussi littéraire et écrit qu’il est, aussi métaphorique, le film est aussi une superbe réussite de cinéma ; chacun a bien sûr en tête les séquences totalement oniriques tournées à Baden-Baden, le lied chanté par une coloratur devant la gloriette baroque et les prés Mitteleuropa où de longues lianes à la beauté ambiguë, toutes vêtues de maillots de bain noirs paressent dans une atmosphère merveilleusement décadente. Mais les villas somptueuses – celle de Michel de Meyerganz (Patrick Bouchitey) sur la Côte d’Azur, celle de Ralph Forbes, l’aveugle (Sami Frey) en Italie sont remarquablement photographiées dans ce même esprit d’exaltation fantastique, de la même façon que le décor crapoteux de Charleville où échoue Catherine, devenue Charlotte, après la mort de Betty (Dominique Frot) lors du dernier hold-up.

600px-Deadly_Circuit-Shotgun-3La musique (de Franz Schubert mais aussi de l’inconnue à mon bataillon Carla Bley – dont Wikipédia m’apprend que Mortelle randonnée est la seule composition pour le cinéma -) est extraordinairement bien adaptée à l’errance ; sa qualité m’a fait quelquefois songer aux meilleures réussites de Philippe Sarde ; et Claude Miller, deux ans après Garde à vue réalisait là son meilleur film, avec une maestria qu’il n’a jamais plus retrouvée depuis lors.

Envoûtant, désespéré, et apaisant pourtant, puisque aussi bien Catherine que l’Œil finissent l’un et l’autre par trouver ce qu’ils cherchent, c’est-à-dire la mort, Mortelle randonnée, sans doute terrible thérapie pour Audiard et Serrault, marque durablement les mémoires, en les poissant de l’évidente certitude qu’il y a des tas de choses dont on ne guérit pas. Jamais.

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