Concentré d’humour noir.
La performance extraordinaire d’acteur d’Alec Guinness, qui incarne à lui tout seul huit personnages (certains, il est vrai, très négligeables) a sans doute éclipsé un peu trop la sèche méchanceté du propos de Noblesse oblige : un humour noir très noir, assez violent, cruel et empli d’une joyeuse et vertigineuse immoralité. Sans doute le film est-il typique de cette façon particulière des Anglo-saxons, et sans doute particulièrement des Britanniques de traiter avec une orientation très sarcastique, pleine de retenue (understatement) des situations absolument épouvantables avec flegme et distance ; on n’hésite en aucun cas à tutoyer l’obstacle, à aller un peu plus loin que la simple décence exigerait sous d’autres horizons ; ainsi, par exemple, la conversation, au tout début du film entre le directeur de la prison où est incarcéré Louis Mazzini (Dennis Price) et le bourreau qui doit le pendre au matin : Le dernier duc exécuté dans ce pays fut tristement saboté ; il est vrai que c’était du temps de la hache. Il y avait, au lendemain de la guerre, une verve éclatante du cinéma anglais, qui ne se limitait pas, comme aujourd’hui, aux révoltes geignardes de Ken Loach : c’était l’époque de Whisky à gogo, de Passeport pour Pimlico, de L’homme au complet blanc : beaucoup d’excentricité distinguée et un peu de nonsensique à la Lewis Carroll.
En tout cas, Noblesse oblige avance avec légèreté, allégresse, intelligence sur un terrain scabreux, multipliant les audaces scénaristiques mais passant sur elles avec tant d’esprit que toutes les abominations relatées ne gênent qu’à peine. Peut-on me chipoter sur ce mot d‘abominations ? Voire ! Sécheresse méprisante de la famille d’Ascoyne envers la mésalliée mère de Louis Mazzini, à qui elle refuse même l’abri de la sépulture familiale, mais aussi assassinats sans états d’âme des membres de cette famille à la fois enviée et détestée par Mazzini (qui n’a pas beaucoup de scrupules à éliminer, en même temps que ses parents honnis, ceux qui les accompagnent : ainsi la jeune femme qui accompagne le fils du banquier, le gandin d’Ascoyne et qui se noie avec lui, premières victimes du serial killer Mazzini ; ainsi le convive du général Rufus d’Ascoyne qui est avec lui éparpillé par l’explosion de la bombe placée par le tueur).
Mazzini n’est pas, à vrai dire, un garçon bien estimable profitant avec une certaine veulerie de la séduction qu’il exerce à la fois sur la ravissante veuve (de son fait !) Édith (Valerie Hobson) et sur son amie d’enfance Sibella (Joan Greenwood) ; mais qui est recommandable, dans le film ? Surtout pas cette petite peste vénéneuse de Sibella, personnage d’une grande complexité, au comportement joyeusement immoral. La famille d’Ascoyne est naturellement composée de ganaches et de crétins imbus d’eux-mêmes et d’un esprit de caste ridicule…
Le dialogue est follement intelligent et spirituel (Mazzini sur Lionel, son rival heureux (heureux ?), époux de Sibella (John Penrose) : Jamais vu un garçon de 24 ans aussi doué pour la sénilité ; ou Les femmes ont un don pour faire des scènes à propos de rien et d’avoir l’air offusquées quand elles-mêmes sont en faute ; ou encore Auprès de Sibella, j’admirais Édith ; auprès d’Édith, je désirais Sibella).
Comme quoi, en 1949, si l’audace des situations n’était pas dans le dénudement des corps, elle pouvait bel et bien être dans leur caractère scandaleux…
Film délicieux et ricanant, vraiment…