Notre après-guerre
Alors donc, retour sur ce chef-d’œuvre du film bon enfant, Nous irons à Paris du brave Jean Boyer, qui eut un si beau succès que la même équipe récidiva deux ans plus tard avec un Nous irons à Monte-Carlo de moins bonne venue *
En 1950, la France commence à panser ses plaies et à voir pointer le retour à la normale : il n’y a plus de restrictions alimentaires, la prospérité économique est poussée par l’effort de reconstruction, l’Empire français est solide (on se bat bien un peu en Indochine, mais c’est loin). Et Ray Ventura et son orchestre sont revenus, qui étaient le symbole insouciant du pays d’avant-guerre, où l’on pouvait bien danser sur un volcan (Tout va très bien, Madame la Marquise ! est tout de même une histoire assez tragique!) mais où l’on pensait que le Français, né malin, saurait toujours s’en sortir et rouler Hitler dans la farine (Nous irons pendr’ notre linge sur la ligne Siegfried !)
Ventura est juif et il quitte la France, avec son orchestre pour la Suisse, d’abord, puis pour l’Amérique du Sud, où il triomphe ; c’est l’époque où la France jouit encore d’une extraordinaire aura sous les Tropiques (sait-on que l’Argentine fit mettre ses drapeaux en berne à l’annonce de l’Armistice ?).
Après la guerre, la mode commence à changer, et les grands orchestres (Aimé Barelli, Fred Adison) se survivent, mais vieillissent avec leur public. D’où l’idée de leur redonner un éclat dernier avec des films charmants, pleins de soleil, de chansons, d’apparitions incongrues et inopinées de vedettes (Martine Carol ou George Raft dans Nous irons à Paris, Audrey Hepburn dans Nous irons à Monte-Carlo).
Évidemment, l’anecdote est totalement farfelue, sans queue ni tête et n’est que prétexte à des numéros musicaux et à du cabotinage.
Je vais décevoir les pulsions touristiques en révélant qu’on ne voit le Paris de 1950 qu’à l’extrême fin du film, le gros du récit se situant en Aveyron et sur les opulentes routes campagnardes du Sud-Ouest. (Et si vous voulez voir Paris de cette époque, regardez plutôt le superbe Rendez-vous de juillet, de Jacques Becker).
Martine Carol ne fait donc qu’une apparition minimale, mais ce doit être une des premières interprétations de Françoise Arnoul, qui est effectivement charmante ; on y voit aussi un Henri Salvador très jeune et beaucoup plus drôle qu’il ne sera plus tard, traité en objet (sexuel ?) par le joyeux trio de chanteuses noires américaines obèses, les Peters sisters qui ont un sens du swing et du rythme délicieux.
Les chansons de Ray Ventura d’après-guerre sont moins connues que celles de la période précédente (de Tiens, tiens, tiens à Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?) mais tout de même, si on a oublié, et c’est dommage Tant je suis amoureux de vous, tout le monde en France (enfin…tous les Français de plus de 40 ans!) ont fredonné A la mi-août ; et c’est très bien comme ça !
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*Il y a tout de même, dans Nous irons à Monte-Carlo une excellente séquence, où Max Elloy (qui joue le garde champêtre dans Nous irons à Paris) essaye d’endormir un nourrisson particulièrement odieux en lui susurrant:
« Oui, mon amour, c’est toi qui as raison,
La soupe ce n’est pas bon,
Demain tu auras des frites »
Cette berceuse m’a été régulièrement opposée par mes enfants lorsque je leur suggérais qu’un bon potage à la carotte était nécessaire pour leur développement harmonieux.
Voilà ce que c’est que de vouloir faire des cinéphiles !