Je ne sais pas qui a eu l’idée la plus idiote de l’histoire du cinéma français : faire intervenir quelques mesures de chansons notoires, de nombreuses époques, de plusieurs esprits, de multiples interprètes dans ce qui aurait pu être une excellente, voire brillante comédie de mœurs. Une de ces comédies qui scrutent, examinent, décortiquent, s’amusent des comportements d’un petit milieu guère défavorisé qui s’agite au milieu des marasmes, troubles, angoisses, dépressions qui sont le lot commun.
Mais oui, qui a eu cette idée idiote, qui, certes, a fait la (petite) réputation et le (petit) succès du film ? Petit succès et petite réputation parce que tout le monde s’est dit que le grand, le grandissime, l‘immense Alain Resnais, auteur du documentaire multidiffusé Nuit et brouillard et des épouvantables Hiroshima mon amour et (un peu moins épouvantable) L’année dernière à Marienbad ne pouvait que réaliser des films d’importance. Voilà pourtant un de ces réalisateurs qui ont atteint un statut mythique alors qu’ils n’ont fait que se trouver, dans des discours ampoulés, risibles, au cœur d’une ère cinématographique dont seuls se souviennent les professionnels et les critiques. Autrement dire, rien.
Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ont été parmi les meilleurs auteurs des dernières décennies : incisifs, acerbes, spirituels, sans illusions aucunes sur la vie, sur les gens, sur les amitiés surjouées, sur la comédie sociale, sur l’imposture des inclinations et des amours. Un duo qui m’a toujours mieux fait méditer la belle phrase du Chaos et la nuit de Montherlant : Nul ne comprend bien sa situation tant qu’il n’a pas compris que, hormis un ou deux êtres, personne ne s’intéresse à ce qu’il vive ou à ce qu’il meure. Ils ne sont pas sombres, Jaoui et Bacri : ils ont simplement ouvert les yeux.
Voilà bien de la tristesse pour un film qui se veut gai et même capricant : à tout moment les acteurs interrompent leur propos et chantent en play back quelques notes d’une chanson qui se rapporte à la situation. Au début, ça surprend, ensuite, ça agace, enfin, ça exaspère. C’est niais, puéril, ridicule, infime. Ça n’apporte absolument rien à la narration, même ça l’interrompt et la déstructure. On se demande ce que viennent faire là Charles Aznavour, Gilbert Bécaud, Édith Piaf, Sheila, Jacques Dutronc, Jane Birkin, Henri Garat et quelques autres : c’est bête, très bête, d’une bêtise infinie ; on ne voit pas, à aucun moment, ce que les refrains qui déferlent sans rythme, ni raison apportent au film. On est bien amené à dire : Rien. Et ce Rien est encore trop.
C’est très dommage parce que l’intrigue est subtile, complexe, habilement composée, que les acteurs triomphent dans leurs personnages et leurs personnalités : Jean-Pierre Bacri grognon fragile, Agnès Jaoui exaltée soucieuse, Sabine Azéma, hystérique fofolle, André Dussollier fragmentaire éthéré, Lambert Wilson désagréable rogue… enfin tout le monde est très bien.
On peut ne pas trouver bien habiles les vingt dernières minutes où la mécanique horlogère aboutit à ce que tout s’arrange à peu près : c’est la loi du genre et on ne peut pas toujours espérer une fin cruelle. Resnais, quand il n’est pas enquiquinant, ne va pas aller sur les merveilleuses terres de la comédie italienne et n’a pas assez d’épaisseur pour le drame. On peut trouver bien convenables les images et la direction d’acteurs. On ne s’est pas ennuyé, on a simplement trouvé grotesque l’idée de faire original.