On ne vit que deux fois

Pas si volcanique que ça.

Je ne rejoins pas sur ce film les avis généralement positifs de mes camarades en Bonderies, malgré la pertinence de leurs argumentations et je rejoindrai plutôt l’opinion publique traduite par une (relative) désaffection des spectateurs. Alors que la série, entamée par Dr. No avait réuni 4,7 millions de spectateurs en France pour le premier opus, 5,6 pour le deuxième, Bons baisers de Russie, 6,7 pour Goldfinger (sommet du succès, mais aussi de la qualité), on est retombé à 5,7 pour Opération Tonnerre, 4,5 pour On ne vit que deux fois et, après l’intermède Au service secret de Sa Majesté avec George Lazenby, injustement mal traité (pas même 2 millions), à 2,5 millions pour Les diamants sont éternels, dernière incarnation officielle de Bond par Sean Connery.

Cette longue énumération ne vaut pas raison, mais il me semble qu’elle est significative de la lassitude qui commençait à gagner et de la nécessité pour les producteurs de se lancer dans une course forcenée dans la surenchère, à coup de dollars, de gadgets, de créatures sophistiquées, mais aussi dans la trahison des romans originels de Ian Fleming, de plus en plus simples prétextes.

movie_callout_imageC’est d’autant plus regrettable pour On ne vit que deux fois que l’intrigue du roman est une des plus baroques et cruelles qui soient : au Japon, Blofeld et son âme damnée Irma Bunt (celle qui a tué Teresa, femme de Bond à la fin de Au service secret de Sa Majesté) cultivent un immense jardin empli de plantes vénéneuses, jardin où viennent se suicider des Nippons mélancoliques. Bond reçoit mission de mettre fin à ce petit commerce mortifère. On voit que le rapport est ténu avec le film et qu’il n’est absolument pas question de fusées ni de guerre froide.

Cette batterie spatiale ne s’explique que par la date de réalisation du film. 1967, dix ans après le lancement du premier Spoutnik, c’est sans doute une des périodes où la conquête de l’espace exprime le mieux la compétition entre les deux superpuissances, lancées dans une émulation incroyable. Et ceci a fait rêver toute ma génération, qui ne se préoccupait nullement de réintroduire loups et ours dans des territoires cultivés, habités et civilisés où ces nuisibles n’ont rien à faire, mais pensait bien qu’en l’an 2000 elle pourrait s’installer sur Mars. Nous avons été baignés de ces noms étranges et exaltants, Explorer, Pioneer, Mercury, Apollo, du côté étasunien, Luna, Vostok, Voskhod, Soyouz du côté soviétique…

Dès lors, comment s’étonner que Bond ait été introduit dans cette bagarre farouche ? Mais, assez drôlement, il ne s’inscrit pas du côté du Monde libre, cette fois. La vieille Angleterre – le Gouvernement de Sa Majesté britannique – joue là un rôle de conciliateur, de vieux pays sage qui calme les ardeurs des deux colosses. Ceux que Blofeld reçoit dans son repaire, et qui doivent lui donner une forte somme si le conflit mondial éclate ont les yeux bridés. Le péril jaune n’a jamais cessé d’occuper notre imaginaire.

05atwice Le film a tout de même pas mal de qualités : humour des dialogues, scènes d’action bien fichues (notamment le combat des hélicoptères), distribution intéressante : Donald Pleasence est un excellent Blofeld ; chose amusante, Charles Gray qui incarnera le chef du SPECTRE dans le film suivant joue là un allié de Bond. Aussi un des meilleurs thèmes musicaux de la série chanté par Nancy Sinatra. Et naturellement, un délicieux machisme qui révulserait aujourd’hui les Femen et autres engeances.

J’ai été bien marri, à l’époque, d’apprendre que Sean Connery abandonnait le rôle qui l’avait révélé au grand public. Je vois aujourd’hui qu’il avait bien raison de le faire.

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