Il est bien dommage que Dino Risi ait cédé à une sorte de logique du récit, qui appelle inéluctablement une conclusion et que, en plus, cette conclusion soit un happy end que tout le reste du film rejetait…
Bien dommage, parce que, sinon, Parfum de femme ne serait pas loin de la totale réussite. Sans doute pas du niveau du chef-d’œuvre, comme Le Fanfaron, insurpassable, mais vraiment très très bien. Alors que la dernière demi-heure, l’établissement à Naples, les gloussements des tourbillonnantes péronnelles, les relations mal fixées qui existent entre le capitaine Fausto (Vittorio Gassman) et le lieutenant Vincenzo (Torindo Bernardi), l’amour singulier voué par Sara (Agostina Belli) au Capitaine et la trop gentille issue consensuelle de leur histoire ne sont pas du meilleur Risi.
Heureusement, la première heure du film est une pure merveille, grinçante, tendre, intelligente et pathétique. Et comme toujours dans la comédie italienne, on est emmené sur une fausse piste ce qui, lorsque le réalisateur commence à mettre les points sur les I, déstabilise complètement. Ainsi la morgue, l’élégance, la rigidité d’apparence du capitaine Fausto s’amenuisent-elles en fine pellicule superficielle au fur et à mesure que le voyage progresse et que l’image qu’il donne à son ordonnance Ciccio (Alessandro Momo) s’effeuille et se révèle en failles. Scène triste de la sortie de la boîte de nuit romaine où l’entraîneuse monte dans la voiture de son marlou tandis que Ciccio fait croire au Capitaine que c’est lui qui s’éclipse.
L’acmé du film, sa scène la plus grave est celle qui se passe sur la terrasse de ce curieux hôtel ecclésiastique de Rome où le capitaine a une brève conversation grave avec son cousin prêtre sur la nature du Mal (et, indirectement sur les insaisissables desseins de Dieu) ; le cousin, Don Carlo, c’est Vernon Dobtcheff au si curieux et intéressant visage que j’étais certain de l’avoir vu dans beaucoup de films ; et pourtant une exploration approfondie de sa très nombreuse filmographie n’en a laissé surnager que deux ou trois où je me le rappelle : Les Mariés de l’an deux, Le sauvage, Le nom de la rose… Qu’ont certains traits pour marquer si durablement la mémoire ? En tout cas, il est parfait…
Que dire de Vittorio Gassman, si ce n’est qu’il est évidemment un des plus grands acteurs de cinéma de tous les temps et de tous les pays, sachant d’une simple inflexion, d’un simple regard, d’un geste bref faire exactement passer toutes les émotions du rôle. Il est, dans Parfum de femme, au gré des épisodes, séduisant, odieux, ridicule, bouleversant. Un acteur vraiment magnifique, exceptionnel…
On pourrait s’enchanter à dresser le catalogue des parfums, fragrances, remugles et senteurs évoqués ici et là, et qui ne sont pas tous que L’Odor di femina, guettée par Fausto : aisselle blonde, camomille, jasmin (du voyageur importun), patchouli (de la prostituée de Gênes), parfum français de la fiancée infidèle de Ciccio, café torréfié (de l’arrivée à Naples) et sûrement bien d’autres. Odeurs et bruits : Risi, avec légèreté dirige le spectateur sur les sensations subsistantes de Fausto, incite à les faire partager.
Extrêmement fort, profond et triste, Parfum de femme laisse un léger goût d’amertume… C’est qu’on ne voit pas très bien, malgré la pirouette finale, ce que va être la lente décadence du capitaine Fausto. Et qu’on ne veut pas trop la voir.