Une curiosité
Honnêtement, si je n’étais un sectateur absolu – en fait non : plutôt un admirateur vigilant – de Julien Duvivier, je n’aurais acquis ni regardé ce Poil de carotte qui n’a pas une bien grande notoriété et qui date du début du cinéma parlant, c’est-à-dire d’une époque ou non seulement on capte techniquement mal le son, mais aussi – et surtout ! – où les acteurs n’ont pas encore perçu cette révolution phonique et se comportent encore comme des théâtreux, avec des articulations ampoulées et excessives. A preuve le jeu épouvantablement maniéré de Catherine Fonteney sociétaire de la Comédie Française qui joue Mme Lepic, mère détestable de Poil de Carotte à coup de roulements d’yeux, de gestes torturés et de diction ampoulée et artificielle ; les jeunes acteurs qui jouent le rôle de Félix et d’Ernestine Lepic, frère et sœur de Poil de Carotte sont encore plus ridicules.
Mais le récit de Jules Renard est si fort, est une telle mine de qualité que ces scories s’oublient ! D’autant que Duvivier est, comme toujours, un extraordinaire compositeur d’images, un sublime technicien (à ce niveau, la sublimité de la technique la transcende et confine à l’art pur) et sait s’entourer (comme souvent Armand Thirard est chef opérateur ; Maurice Jaubert a écrit la musique).
Et puis M. Lepic s’incarne formidablement dans le très grand et trop oublié Harry Baur qui fait passer avec un talent magnifique la brusquerie, la pudeur excessive, la fatigue exaspérée, puis la révolte de son personnage, qui porte sur ses épaules le lourd poids d’un mauvais mariage, d’enfants ingrats et méprisables (Félix et Ernestine), d’une vie médiocre, parcimonieuse, égoïste et qui est pourtant, fondamentalement, un brave homme, simplement assez lâche et sourd, comme beaucoup…