Prends la route

Le parfum des congés payés.

On aime ce film moins pour s’extasier sur la réalisation (honnête et limitée) du prolifique  Jean Boyer que pour me mettre à l’unisson du duo si sympathique de Jacques Pills et André Tabet et chanter avec eux les ritournelles entraînantes « Prends la route ! » et « Y’a toujours un passage à niveau » ; et puis cette comédie musicale gaie, sans prétention, rieuse et bon enfant incarne aussi, à sa manière, l’insouciance des premiers congés payés et les charmantes illusions du Front Popu…

Et donc voilà que je l’ai revu ce Boyer-là et que j’ai passé quatre-vingts minutes délicieuses dans un film superficiel et léger, sans queue ni tête, mais merveilleusement animé par le duo de chanteurs oubliés – et qui furent pourtant si célèbres de 1931 à 1939 – Jacques Pills et André Tabet et par l’inspiration musicale enchantée de Georges van Parys !

Évidemment, ça n’a ni queue ni tête, c’est improbable et bon enfant, mais c’est si plein de vie, de gaieté et même de rythme qu’on regarde Prends la route avec un grand sourire, comme une fantaisie charmante et écervelée sans vraiment songer que, pendant que de charmants jeunes gens ne songeaient que vacances, soleil, évasion, bonnes auberges et amourettes, nous allions subir quatre ans après, la plus effroyable déroute de notre histoire. Il faudrait être idiot pour imaginer que c’était la faute du Front populaire ; c’était dans l’air du temps, tout simplement, et il y a vingt films aussi désinvoltes à citer de cet acabit, à commencer par Je chante ou La route enchantée avec Charles Trenet

C’est naturellement assez mal édité par le sagouin René Chateau, l’image est abîmée, et le son n’est pas toujours très satisfaisant, sauf – Dieu merci ! – pour les chansons. Le duo Pills et Tabet n’est vraiment pas mal du tout : Jacques Pills, au physique avantageux et au sourire clair fut plus tard le mari de Lucienne Boyer (immense star de la chanson d’avant-guerre : qui ne connaît Parlez-moi d’amour ?) puis d’Edith Piaf ; Tabet, à la voix flexible et étonnante possède un remarquable tempérament de fantaisiste ; et si je supporte assez peu la rondeur grasseyante d’André Alerme, la distribution féminine est charmante, avec la vamp oubliée Colette Darfeuil, la charmante Jeanne Loury et tout un régiment de mignonnes blondinettes plus jolies les unes que les autres, dont, dans un certain anonymat, la débutante Suzy Delair

Au moment de clore ce message, en allant faire un petit tour dans ma discothèque, pour retrouver quelques chansons du film, je tombe sur un texte formidable consacré au film qui figure dans le livret qui accompagne un double CD intitulé Le front populaire, double CD absolument remarquable et indispensable pour qui s’intéresse à la musique populaire de l’époque (paru chez Frémeaux et associés, aussi éditeur de la collection Les cinglés du music-hall, présentée par Jean-Christophe Averty).

Ce texte, rédigé par Eric Rémy dit, bien mieux que je ne le fais la qualité de Prends la route ; je le cite donc.

Ce qui fait le prix de ce genre de films-opérettes où l’on chante à tout propos (devant une photo, un passage à niveau ou un(e) inconnu(e) qui vous répond en connaissant la chanson – ce qui reste totalement mystérieux à certains esprits rationnels – ), ce sont des détails : le gigantesque Touring-Club arts décos avec hôtesses en blouses de satin, les Bugatti, les knickerbockers, les incroyables lunettes des motocyclistes (sans casques !), la poule de luxe jouée par Colette Darfeuil, les seconds rôles (Alerme, vieille ganache, Milly Mathis, commère marseillaise) et puis cette campagne française ensoleillée aux routes bordées de haies de peupliers et d’accortes paysannes qui sortent de chez le coiffeur.

Ajoutons que Pills et Tabet sont meilleurs acteurs qu’on ne pourrait le croire, que la jeune première est plutôt moins mièvre que la moyenne du temps et qu’un orchestre assez swing enlève une partition excellente signée Georges van Parys. Bref, à part Le chemin du paradis, (où l’on s’agitait déjà beaucoup autour des bagnoles et des stations service), c’est l’une des très rares comédies musicales françaises qui ait résisté au passage des ans.

Et ce n’est pas alléchant, ça ?

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