Lancé sans bouclier dans une mêlée furieuse…
Davantage un téléfilm qu’un film, dans son côté sujet de société, mais plutôt habilement présenté, Présumé coupable s’appuie sur le récit d’un seul des protagonistes de l’affreuse affaire d’Outreau. L’huissier de justice Alain Marécaux, emporté dans la tourmente des accusations folles de Myriam Badoui a vu sa famille dispersée, sa vie professionnelle détruite, son existence démolie. Il raconte ce cauchemar et Vincent Garenq le met en images avec une certaine sobriété, dont on lui saura gré.
Il aurait en effet été roublard, complaisant (et dégueulasse) de narrer cette sordide affaire de prostitution enfantine et de pédophilie en mettant en scène tout l’assemblage des personnes inculpées, en montrant les enfants esquintés, en introduisant le doute à partir d’images glauques ou ambiguës, en tonnant contre les salopards. Rien de cela dans Présumé coupable qui fait seulement allusion presque a minima aux événements. C’est bien plutôt le broyage effrayant d’un individu sans particularité notable par une machine infernale dont il est question.
Sans particularité notable, certes. Père de famille tranquille, mari sans singularité, matériellement à l’aise, Marécaux, superbement interprété par Philippe Torreton, est dévoré par le maelström. Mais sa situation m’a fait songer à une autre épouvante, vécue par un homme d’une dimension bien différente, mais pareillement démoli dans toutes les composantes de sa vie après un séisme personnel : le baron Empain, magnat de la finance et de l’industrie, enlevé en 1978 par des bandits, qui ne fut libéré qu’au bout de trois mois d’avanies affreuses et qui ne trouva à son retour dans le monde civilisé que le désastre et les ruines. Lucas Belvaux a tiré de cette histoire, en 2009, un film superbe et glaçant, Rapt, avec Yvan Attal.
Ce qui est également effrayant, dans la vie de Marécaux, au delà même de l’erreur judiciaire, de la dénonciation de l’aveuglement avec quoi le juge Burgaud (Raphaël Ferret), étranglé dans ces certitudes lui met la tête sous l’eau, de la méchanceté agressive de l’appareil policier, c’est la facilité avec laquelle la vie d’un homme peut basculer et, finalement, se décomposer, se désagréger sans possibilité de rémission. Abandonné par sa femme (Noémie Lvovsky), rejeté par ses enfants, éloigné par ses confrères, mis à l’écart par la plupart de ses amis, Marécaux, au sortir du cauchemar, n’est plus rien. Les aveux tardifs, lors du procès, de Myriam Badaoui (Farida Ouchani), qui innocentent presque tous les inculpés n’y peuvent rien changer : après la catastrophe, c’est encore la catastrophe…