J’ai une tendresse et une admiration particulières pour Joséphine Baker, qui a vécu une existence extraordinaire, multiple et même multicolore. Vedette adulée du music-hall, meneuse de revues, grande amoureuse (dont Georges Simenon), femme de cœur mère adoptive de sa tribu arc-en-ciel, douze enfants de toutes origines, inlassable et courageuse, à la fois castriste et gaulliste. Elle a reçu l’hommage de la Nation en novembre 2021, ce qu’elle méritait fort, parce que son action dans la Résistance était due à l’amour et à la reconnaissance qu’elle portait à la France et non, comme un récent panthéonisé à la seule obéissance aux ordres du Komintern.
Il est vrai qu’il y a tant et tant de médiocrités et d’inutilités que la République fait entrer dans cette grande boutique du Panthéon que l’on est, pour une fois, un peu fier que la petite négresse venue des États-Unis soit aujourd’hui au rang de ceux qui sont ensevelis dans la froide nécropole de la montagne Sainte-Geneviève.
Princesse Tam-Tam en 1935, n’est pas le premier film qu’elle tourne. Après quelques muets, elle a été la vedette l’année précédente de Zou-zou de Marc Allégret, avec Jean Gabin. On joue encore à ne pas regarder la montée des périls, mais on sent bien que les années folles sont terminées. Années folles qui ont vu éclater, dix ans plus tôt, la folle vitalité de Joséphine. Car c’est en octobre 1925 que la Revue nègre la révèle au public, qu’elle enchante, seins nus et vêtue d’une seule ceinture de plumes (les bananes, ce sera pour La folie du jour en 1927)
Il n’y aurait aucun intérêt à se souvenir de Princesse Tam-Tam, du tâcheron Edmond T. Gréville si n’y éclatait la vivacité, le charme, l’élégance innée de Joséphine Baker. Qui n’était sans doute pas aussi excellente actrice que meneuse de revues exceptionnelle, et qui était dotée d’un joli filet de voix.
Arrêtons l’hyperbole. Princesse Tam-Tam est un charmant petit film. Il va de soi qu’aujourd’hui, notre aujourd’hui vertueux et respectueux des différences, personne ne pourrait plus tourner un film où Max de Mirecourt (Albert Préjean), écrivain en panne d’inspiration et en délicatesse avec sa femme Lucie (Germaine Aussey) part trouver la tranquillité et l’inspiration en Tunisie.
Il y est accompagné par son factotum Coton (Robert Arnoux) qui joue auprès de lui à peu près le rôle que joua Auguste Maquet auprès d’Alexandre Dumas : le nègre qui rédige, nourrit la copie, documente, rédige le texte dont Max porte la substance.
La Tunisie n’arrange rien : les deux hommes sont en panne de souffle ; jusqu’à ce que Max rencontre fortuitement la sauvageonne Awina (Joséphine Baker) qui vit librement et on ne sait comment, mais qui a en elle vitalité, énergie, sensualité. Et surtout étrangeté.
L’idée vient à Max de présenter Awina comme une Galatée dont il serait le Pygmalion ; d’abord parce que la gageure est intéressante ; ensuite – et surtout – parce que la situation, qui sera évidemment rapportée aux oreilles de Lucie, la femme légitime et toujours vraiment aimée, lui donnera le levier pour la rendre jalouse. Et lui permettra aussi d’arracher Lucie aux griffes concupiscentes du richissime Maharajah de Datane (Jean Galland) qui éblouit de son opulence les nuits parisiennes.
Max/Préjean entreprend de former sa créature aux belles disciplines de la vie occidentale : leçons de musique, de danse, de calcul, de maintien qui permettront à la jeune indigène d’apparaître, à Paris, comme une véritable princesse exotique.
Ça marche, d’ailleurs : à sa grande surprise, l’indigène devient la coqueluche de Paris, jalousée par beaucoup, notamment par Viviane Romance (dont Princesse Tam Tam est l’un des premiers films) une perverse amie de Lucie. Tout cela lors d’une fête dionysiaque sacrément bien organisée et dont le filmage fait songer aux belles réussites de Busby Berkeley (Chercheuses d’or de 1935) ou de Herbert Z. Leonard (Ziegfeld folies)
Et puis voilà, les belles choses vont à l’amble : Max et Lucie cessent de jouer leurs gamineries et Awina cède à l’évidence de son attirance pour Dar (Georges Péclet) qui était le régisseur de Max en Tunisie, quelqu’un de son identité et de sa race. N’est-ce pas que ces évidences sont un peu singulières de nos jours ?