Je sais bien que Paul Thomas Anderson est aujourd’hui révéré comme un des meilleurs réalisateurs de notre siècle (qui, soit dit en passant, commence à avoir un peu de bouteille : plus de son cinquième, près de son quart). Un réalisateur dont je n’ai pas vu grand chose et dont le peu que j’ai vu ne m’a pas ébloui : There will be blood plutôt bien mais éparpillé, anarchique, sans cohérence, et même assez souvent ennuyeux. Magnolia foutraque, dispersé, niais ; il est vrai que ce gros gâteau torturé dure plus de trois heures. Avec Punch-Drunk love, le réalisateur est revenu à des durées plus convenables : 97 minutes en comptant un interminable générique final.
Je précise que je n’ai rien contre les films longs et j’apprécie tout autant La maman et la putain (220 minutes) que Autant en emporte le vent (243 minutes), mais encore faut-il avoir quelque chose à dire pour pouvoir réussir ce genre de défi. En même temps j’ai bien la conviction que Paul Thomas Anderson n’est ni un manchot, ni un de ces inutiles du cinéma qui accumulent film sur film comme le font les metteurs en scène agréablement subventionnés par la manne de l‘exception française.
On ne peut pas dire que Punch-Drunk love soit un film médiocre ou ennuyeux. Pas du tout même ; voilà qu’un drôle de truc plein de drôles de gens parvient à retenir l’attention, à fasciner, aussi, par son originalité, la bizarrerie des personnages qu’il met en scène, le déroulement narquois de ses péripéties. C’est original, aguichant, plein de subtilités amusantes. Ça oscille souvent entre le sarcasme et l’horreur, on ne voit que des gens d’une grande banalité qui essayent de vivre un peu mieux qu’ils ne pensaient.
Pauvre garçon surmonté, décapité, obsédé par la présence de ses sept sœurs dévorantes, Barry Egan (Adam Sandler) vit une drôle de vie inutile, sans amour et sans vrai problème ; et en même temps il est très malheureux, parce qu’il ne connaît personne, n’a aucune bribe d’amour. Sa vie est un désert. Il passe d’ailleurs son temps à collectionner les bons d’achat qui vont lui permettre, au bout du compte, d’accumuler des miles sur un compte, sans d’ailleurs savoir ce qu’il pourra bien en faire. Une vie absolument nulle, houellebecquienne, comme on en voit beaucoup.
Dans nos sociétés policées et intelligentes (mais comme de tout temps, il est vrai), un garçon isolé et désertique est en mauvaise compagnie ; il faut de toute force lui trouver une compagne. Pourquoi pas ? Barry est plutôt bien de sa personne ; il y a néanmoins une petite difficulté avec lui : de temps en temps, il pète les plombs, c’est-à-dire qu’il explose physiquement, en cassant tout de qui se présente avec une force et une rage incroyables.
Toujours est-il que Barry est bien embêté parce qu’il vit, simultanément, des histoires dissemblables. D’une part, comme il a fait appel, un soir de tristesse et de solitude, à la voix enjôleuse d’une fille d’un site pornographique et qu’il a fait la bêtise de livrer à ces chacals ses coordonnées personnelles, il est traqué, persécuté, terrifié par de petits voyous employés par un malfrat de l’Utah, Dean Trumbell (Philip Seymour Hoffman). ‘’Nos actes nous suivent’’ a écrit le bien oublié Paul Bourget.
Parallèlement, une histoire se noue entre Barry et Lena Leonord (Emily Watson), une collègue et amie d’une des sœurs, qui a d’emblée flashé sur une photo du jeune homme et lui court après avec grande insistance. Elle n’est plus tout à fait jeune et pas très jolie mais la rencontre met en place des sentiments contradictoires, compliqués, torturés, culpabilisants.
C’est à peu près tout ; ça se termine naturellement très bien. Acteurs de qualité, musique assez fascinante.
Je ne me suis pas endormi, mais je n’ai pas beaucoup trouvé d’intérêt à ce truc peu construit (ou trop construit, c’est la même chose), adulé par la critique savante, récompensé au Festival de Cannes (quelle affaire !) mais plutôt boudé par le public.