L’angoisse du Pouvoir
Si on ne remerciera jamais assez Tavernier pour avoir (presque) remis le cinéma français sur ses rails après les billevesées et les coquecigrues de la Nouvelle Vague, on doit aussi admettre qu’il s’est appuyé sur des recettes éprouvées : des scénarios solides, préparés avec gourmandise par un des maîtres de la Qualité française, Jean Aurenche et une distribution éclatante, pleine de trognes pittoresques et de seconds rôles de qualité ! Je viens d’ailleurs de m’apercevoir, en consultant
la distribution qu’il avait mis la main, dans Que la fête commence, sur quelques uns de ceux qui allaient faire leur trou dans le cinéma français après 1975 : Michel Blanc, Christian Clavier, Gérard Jugnot et Thierry Lhermitte (celui-ci absolument remarquable en comte de Horn, parfait salopard – c’est le voleur et assassin qui chauffe à blanc une pièce pour la donner en aumône à un mendiant aveugle, celui que le Régent ne graciera pas -).
Et puis cette entrée fabuleuse au vif même du film, la dissection par un collège de médecins, encapuchonnés et embéqués, de Jouflette, c’est-à-dire Marie-Louise Elisabeth, duchesse de Berry, assidue aux orgies de son père, Philippe d’Orléans, Régent de France. A ce moment là (1719), le petit Roi, Louis XV, arrière-petit-fils du vieux monarque, n’a que neuf ans ; c’est une des périodes les plus rudes de l’Histoire de France, après le (trop ?) long règne (72 ans !) de Louis XIV, et même si le Grand Roi a conforté la place du pays au premier rang de l’Europe, il y a un formidable désir de littéralement changer d’époque.
Peu de films ont autant montré que celui-là l’angoisse du Pouvoir, la difficulté de le vivre, la nécessité de n’être pas qu’un homme pour l’exercer, de savoir arbitrer, choisir, condamner, de suivre la logique des rôles : il n’y a pas d’animosité entre le Régent (Noiret, bien sûr) et Poncallec (l’admirable Marielle) : mais l’ordre naturel du gouvernement d’un pays veut que Poncallec soit arrêté, incarcéré, mis hors d’état de nuire. Pourtant, comme le Régent, pénétré (déjà !) par ce qui sera cinquante ans après le rousseauisme, incline à l’indulgence, c’est son Premier ministre, l’abbé Dubois (non moins formidable Rochefort) qui force la main de son maître et fait exécuter les conspirateurs…
Pris entre la nécessité d’exercer ce pouvoir dont il sait qu’il n’est que le destinataire provisoire et son goût attesté pour le plaisir, Philippe d’Orléans compose une des personnalités les plus évidemment complexes du paysage historique ; il me semble que la grande force du film de Tavernier est de n’avoir évacué aucune des facettes de cette personnalité : superbe idée d’avoir glissé là, dans le rôle de la confidente qui recueille les incertitudes et les angoisses du Régent le riche personnage d’Émilie, la jeune prostituée, rôle tenu à la perfection par une Christine Pascal, au regard si triste, qui a accompli une météorique carrière dans le paysage du cinéma français avant de se suicider, en 1996.
Sans doute pourra-t-on un peu chipoter Tavernier sur le côté « danse sur un volcan », par exemple sur la dernière scène, maladroitement démonstrative ; mais Que la fête commence est un film magnifique, porteur de multiples sens, d’une réflexion intelligente et profonde, admirablement distribué, dont de multiples visions n’effacent pas la force.
—————–
Une (relative) bonne connaissance historique donne bien davantage d’intérêt à ce genre de sujets, ce qui me fait un peu me méfier de films dont j’ignore tout de l’arrière-paysage (quelque chose qui se passerait en Chine, dont j’ignorerai toujours l’histoire), où dont je trouve le paysage massacré (l’exemple caricatural qui me vient à l’esprit est le Jeanne d’Arc de l’insupportable Luc Besson).
Si j’avais essayé, sur le fil de Marie Antoinette de resituer un peu le contexte diplomatique qui explique certains comportements, c’était précisément pour ne pas trop laisser prise à l’anachronisme consistant à voir une sorte de Lady Diana Spencer en la jeune fille envoyée par Vienne à Paris pour sceller davantage une alliance.
Ce qui me paraît intéressant dans Que la fête commence, outre la superbe distribution, c’est qu’il me semble que Tavernier et Aurenche ont bien capté ce moment fragile de la Régence, ce changement de siècle (qui, comme tous les siècles intervient 15 ans après le changement calendaire *) et cette interrogation grave et existentielle que ressent l’homme qui doute et qui n’accomplit que par devoir l’effroyable charge du Pouvoir.
Revoyez le film et dites m’en des nouvelles ; il est vrai que Tavernier est fort inégal, mais, au moins pour Coup de torchon, Le juge et l’assassin ou La vie et rien d’autre, il mérite une revalorisation.
____________________________________________________
* 1214 : Bouvines ; 1314 : mort de Philippe le Bel ; 1415 : Azincourt ; 1515 : Marignan ; 1610: Assassinat d’Henri IV ; 1715 : mort de Louis XIV ; 1815 : fin de l’Empire ; 1914 : La Grande guerre…
Au fait…plus que sept ou huit ans….