Curieuse impression à la découverte de ce film de Bob Fosse, dont je n’avais jamais rien vu, alors que le réalisateur a connu des succès considérables (Sweet charity et surtout Cabaret, qui remporta tout de même 8 Oscars !) et que je fais partie des grands amateurs de comédies musicales. Bob Fosse, d’abord chorégraphe, s’est ensuite tourné vers la réalisation et il a, en tout cas, réussi brillamment à mettre en scène l’éclat de la danse dans des séquences inventives, rythmées, très esthétiques filmées avec d’importants moyens, ce qui permet de très beaux décors, de très beaux costumes et des interprètes de qualité. D’une certaine façon, d’ailleurs, cette façon de filmer la danse fait davantage songer aux grandes machines parées de strass et de paillettes (Le grand Ziegfeld, Ziegfeld follies, les féeries de Busby Berkeley) qu’aux chefs-d’œuvre de Mark Sandrich, avec Fred Astaire et Ginger Rogers, moins ostentatoires. Et pourtant les uns et les autres sont issus des lendemains de la crise de 1929.
Je pose pourtant un bémol : Que le spectacle commence ne donne pas du tout l’image sucrée, optimiste, souriante, enchantée des deux catégories ci-avant ; le film montre un univers violent (quelquefois sordide, même), brutal, vénéneux, celui de la fabrication d’un spectacle, certes sous l’égide d’un créateur de génie, Joe Gideon (Roy Scheider), mais sous la réelle direction des producteurs et des financiers. Ce monde-là est totalement, brutalement, fondamentalement féroce. Une des meilleures scènes du film est l’une des premières : la sélection d’un groupe de danseurs. Pléthore au début, puis élimination graduelle, avec de grands sourires hypocrites, de ceux qui ne sont pas retenus. Incidente : hypocrisie totale du monde d’aujourd’hui qui, à la fois, s’indigne contre toute sélection à l’Université et fait mine de ne pas se rendre compte que cette sélection fonctionne à grandes guides aussi bien au football que dans le spectacle.
Donc il y a un chorégraphe et metteur en scène exceptionnel qui ne vit que par et pour le spectacle. Et qui, conscient qu’il est incomparable de talent, se fiche bien de trop boire, de trop fumer et de courir les filles de façon compulsive ; aussi bien pour le tabac, l’alcool et le sexe, il n’a ni limite, ni prévention. Au fait – c’est une grande faiblesse de Que le spectacle commence – ce type n’a aucune structure, aucune épaisseur. On peut admettre bien volontiers que son talent fascine toutes les jeunes phalènes qui viennent se brûler à son éclat ; mais tout de même il n’a pas de personnalité ; ou, à tout le moins, le réalisateur ne parvient pas (ou se fiche complétement) de lui donner une existence.
Je ne suis pas tout à fait certain d’avoir repéré toutes les femmes qui ont paré son harem ; j’ai l’impression qu’il a vécu auparavant avec Audrey Paris (Leland Palmer), avec qui il a eu une fille, Michelle (Erzsebet Foldi), désormais presque adolescente ; il fricote désormais aussi bien avec Kate (Ann Reinking) qu’avec Victoria (Deborah Geffner) et rien de ce qui porte jupe ne lui est étranger, d’ailleurs. Mais tout cela se passe au mieux, les femmes paraissant avoir une indulgence complète pour les vaticinations du héros.
Mais ce héros là, à force de tirer sur la corde, a usé son corps. Il est à l’hôpital, en mauvaise posture. Et autant le dire, il est au dernier bout. S’engage alors un dialogue plein de réminiscences avec la figure de la Mort (Jessica Lange), qui l’écoute avec tendresse, comme s’il était un galopin charmant, dont les bêtises n’ont pas d’importance. Un être léger, presque elfique, qui a séduit tout le monde, mais dont personne, à part sa fille sans doute, ne se rappellera, une fois les mouchoirs reposés. Jolie réflexion sur la mort annoncée, au demeurant : les cinq phases de la réaction devant son évidente survenue : colère, refus, tractation, dépression, acceptation.
Tout est dit. N’est-ce pas ?