Que notre joie demeure

Le souffle de l’Esprit.

Je n’ai cessé d’écrire ici et là combien est grand, formidable, le courage d’une réalisatrice qui parvient, année après année à constituer une oeuvre cohérente et forte, malgré l’absence de tout soutien du CNC et des grands médias qui financent à tire-larigot la plupart des infamies cinématographiques fabriquées pour les soirées de TF1. Oui, courage, sens de la débrouille, capacité à mener son petit monde d’acteurs et de techniciens, ingéniosité à trouver trois francs, six sous pour boucler ses tournages. Une toute petite note d’espoir néanmoins ; je notais déjà, à la fin de Je m’abandonne à toi, son dernier ouvrage, une participation de Canal +. Et le générique de Que notre joie demeure s’ouvre sur l’affirmation de cette participation et de celle de Ciné +. L’arrivée de Vincent Bolloré dans les médias est une véritable bénédiction pour le pluralisme.

Car si Cheyenne Carron a tant de mal à monter ses films, c’est qu’elle n’appartient pas au Camp du Bien. On lui reproche son patriotisme, son christianisme revendiqué, son goût pour les êtres forts, les hommes courageux, la loyauté, la fidélité, l’identité. Autant de péchés majeurs pour les professionnels de la profession. Mais cette détermination de la jeune femme a l’inconvénient de la confiner dans un cinéma et des histoires surtout appréciés par un public particulier. En d’autres termes, elle tourne un peu en rond et, comme ses films ne sont pas promus et diffusés par les circuits de distribution majeurs, les recettes financières sont trop minimes pour passer à l’étage supérieur et effacer quelques maladresses d’écriture.

La France entière a été horrifiée, scandalisée, épouvantée par l’assassinat du Père Jacques Hamel, à Saint Étienne du Rouvray, dans la banlieue de Rouen le 26 juillet 2016 par deux musulmans fanatisés. D’autant que le meurtre survenait douze jours après le massacre de Nice du 14 juillet où un autre tueur avait roulé en camion sur la foule (86 tués, 458 blessés). C’est une très bonne idée de tourner un film sur les derniers jours d’un prêtre de 85 ans dont chacun a dit qu’il vivait sa Foi avec bonté, chaleur humaine, ouverture d’esprit.Le scénario de Que notre joie demeure n’est pas une biographie stricto sensu ; la réalisatrice ne reconstitue pas avec une précision horlogère la quinzaine de jours du mois de juillet qu’elle présente. Mais elle montre – et c’est beaucoup mieux ainsi – ce qu’a pu être l’existence quotidienne d’un prêtre de banlieue.

Et de ce fait il n’est pas gênant que l’interprète du rôle, Daniel Berlioux, n’ait pas la moindre ressemblance physique et soit beaucoup plus jeune que le pauvre frêle vieillard. Mais les journées de Jacques Hamel à la fin du mois de juillet devaient bien ressembler à celles de la quotidienneté du service des autres. Ainsi la visite à André, un homme qui va mourir d’un cancer des os et qui lui ouvre son cœur ; direction d’un groupe d’animation liturgique qui a entrepris de rédiger les intentions de prière universelle après l’attentat de Nice ; rencontre et hébergement d’un SDF (Laurent Borel) à qui il redonne du courage ; conversation ouverte avec un jeune homosexuel qui n’ose pas avouer sa situation à sa famille et craint d’en être chassé ; entretien avec trois religieuses qui résident dans la paroisse qui racontent la raison de leur vocation ; et puis – merveilles et joies – la visite de la soeur (Véronique Frumy) et de sa famille.

Tout cela est un peu monotone mais précisément absolument conforme à la réalité et cohérent avec la personnalité du prêtre. Il ne s’inquiète pas outre-mesure que des feuillets reproduisant des sourates anti-chrétiennes du Coran soient déposées sur le parvis de l’église ; qu’un jeune homme, lors d’une messe, entre dans l’église, visiblement pour repérer les lieux. Ce jeune homme, c’est Adel Kermiche (Oussem Kadri) ; on le voit tout de suite après sous sa douche, récitant une sourate de haine ; puis avec un de ses amis, sage, pacifique, alors qu’Adel appelle à la terreur pour venger le sang musulman d’Afghanistan, de Syrie, de Libye…

La radicalisation chemine vite : Adel dit à un imam qu’il veut se sacrifier et tout de suite il est pris en main. Ceci malgré le regard inquiet de Fatima (Majida Ghomari) sa mère, qui a essayé de l’élever dans l’amour de la France, la liberté de penser et la reconnaissance à la terre d’accueil. Elle essaye de le détourner de qu’il dit être une mission, lui trouve un stage chez Dolce et Gabbana, tient un discours intelligent, le surveille…Ça n’empêche rien ; l’attentat est décidé ; Yassine (Sofiane Kaddour), un kamikaze de Bordeaux qui a combattu au Proche Orient, vient le rejoindre ; les deux hommes s’exaltent mutuellement, récitent leurs prières haineuses. Adel entre à nouveau dans l’église, presque vide (c’est un mardi et on est à la fin de juillet) ; une religieuse lui apprend que la messe se terminera dans une petite demi-heure. Il ressort et la demi-heure passée fait irruption avec Yassine, les deux assassins hurlant Allahou akbar. Le Père Hamel est frappé de 18 coups de couteau ; un paroissien fidèle, Guy Coponnet (Gérard Chaillou) est grièvement blessé ; les religieuses présentes sont conservées par les tueurs.

Adel et Yassine seront abattus par le GIGN. L’État islamique revendiquera le crime. On peut juger que Cheyenne Carron ne maîtrise pas tout à fait la difficulté de son récit ; qu’elle aurait pu effectuer une sorte de montage parallèle des deux cheminements, celui, tranquille, serein, aimant du prêtre, celui, tout en rage, en haine et en fureur de son assassin et que sa radicalisation n’est pas assez approfondie : comprend-on comment un jeune homme particulièrement choyé par une mère aimante et intelligente peut basculer ainsi dans l’horreur ? Mais tel que c’est, c’est drôlement bien rythmé. Et particulièrement émouvant

 

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