Monstres sacrés
Je ne suis pas loin de penser que le second opus d’Aldrich consacré à un thème similaire, Chut, chut, chère Charlotte, est meilleur que Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, qui connut pourtant un bien plus grand succès, succès qui entraîna presque naturellement à demeurer dans la même tonalité vénéneuse, et toujours avec l’extraordinaire Bette Davis.
Je préfère sans doute Chut, chut, chère Charlotte, peut-être parce que, malgré une longueur identique, l’intérêt est davantage en haleine dans la révélation/résolution d’une énigme que dans l’étouffement d’un huis (presque)-clos, dans les déchirements hystériques de plus en plus violents d’un pitoyable pantin englué d’enfance et d’amertume.
Cela écrit, s’il y a un bon quart d’heure de trop dans l’un et l’autre film, c’est tout de même, et dans les deux cas, une magnifique montée chromatique, avec un scénario incontestablement plus original pour Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?… Si la descente aux enfers pitoyable des stars du muet a été relatée avec une cruauté admirable dans Boulevard du crépuscule, j’ignore si la frustration de l’enfant-vedette qui ne parvient pas à grandir avait déjà été mise en scène ; les fins de partie ne sont pas toujours belles, et il doit y avoir eu une palanquée de stars gamines qui, moins notoires que l’immense (et exaspérante) vedette que fut Shirley Temple) se sont retrouvées, à la fin de leurs belles années, à mendier un cachet ici et là, à essayer de survivre…
La complication qu’Aldrich introduit, en donnant à Baby Jane Hudson une sœur talentueuse et devenue infirme à la suite d’un accident plus mystérieux en réalité qu’il n’a d’apparence immédiate est, malgré son habileté, un peu artificielle, mais pose de façon très intéressante la question des relations entre deux êtres rassemblés à la fois par les liens du sang et par le secret qui les lie…
On peut gloser sur la vraisemblance, mais on doit reconnaître à Robert Aldrich un sens très sûr de l’insupportable, qui culmine sans doute dans l’image, à la fois totalement attendue et totalement surprenante du rat énorme servi, sous sa cloche d’argent à Blanche terrifiée (Joan Crawford) par Jane (Bette Davis). Ce sont ces images-là (et Blanche attachée, ligotée sur son lit) et le jeu magnifique des deux actrices, mais aussi de l’huileux répugnant Edwin Flagg (Victor Buono) qui font tout le prix d’un film étrange, mais qui n’emporte pas tout à fait l’adhésion, sans doute à cause de l’artificialité de l’histoire, encore accrue par la révélation finale, qui est indispensable, certes, mais qui arrive sans vraie raison et sans pertinence…