Comme il est long, languissant, ce film, où les Étasuniens, au lieu de nous montrer ce qu’ils possèdent en propre et ce qu’ils savent le mieux faire, tentent d’entrer dans les raffinements de la vieille Europe civilisée ! Qu’on le veuille ou non, la légende de l’Ouest, c’est la belle tenue des paysages arides et stupéfiés de soleil de l’Arizona et les cruelles peignées mises par les colonisateurs (sauvés de la déroute au dernier moment par la Cavalerie !) aux féroces Peaux-rouges. Mais dès que le Nouveau Monde essaye de singer de façon plutôt grossière nos raffinements décadents, ça fait plutôt rire…
Comme elle est interminable cette histoire très convenue et très nocturne où le rigide et ennuyeux Wyatt Earp (Burt Lancaster) – bizarrement renommé Edward Thorpe dans la version française -, honnête shérif d’une bourgade perdue du plat Texas, se prend peu à peu d’amitié pour le douteux imbibé poitrinaire tricheur virtuose Doc Holliday (Kirk Douglas). La vraisemblance n’est pas trop au rendez-vous, mais, après tout, il arrive que les westerns s’apparentent aux contes de fées. Au demeurant, il paraît que Léon Uris,laborieux polygraphe et auteur du scénario aurait voulu incliner la connivence des deux hommes vers une orientation homosexuelle. Tant qu’on y est !
Tout de même, que c’est long à se mettre en place, cette histoire de fusillade sous les ciels bouleversés, inquiétants, pesants, lourds de chaleur poisseuse du Texas ! Dans ce pays de bouseux à peine dégrossis, Holliday/Douglas, issu d’une bonne famille de Géorgie spoliée par les Nordistes, fait bizarre impression. Tueur virtuose sans regrets ni scrupules, habile tricheur, buveur plus habile encore, aussi plein de mépris pour lui-même que pour le reste de l’humanité, le personnage remplit plus évidemment l’écran que cette bonne pâte de Wyatt Earp/Lancaster parfaitement borné, parfaitement honnête. C’est d’ailleurs très bien qu’il en soit ainsi.
John Sturges, le réalisateur – qui n’est pas malhabile – plonge donc ces deux emblèmes vivants, la Loi et le Désordre, pourrait-on dire, dans le marécage bourbeux, violent, sauvage du Texas de 1881, au milieu de canailles et de voleurs de bétail prêts à dégainer et à tuer pour un rien ; je suppose que ceux qui s’indignent aujourd’hui d’apprendre, chaque semaine (ou presque) les tueries de masse qui surviennent aux États-Unis, dans un lycée ou un centre commercial, font mine d’oublier (ou ne font pas le moindre lien) avec la réalité de la violence du Nouveau Monde.
Construction classique d’une histoire où deux hommes que tout paraît opposer mais qui sont attirés l’un vers l’autre par une étrange sympathie vont poursuivre leur jeu dans le gluant marigot. Rien là que de normal. Mais s’ajoutent, un peu pour compliquer le jeu, sans doute aussi pour respecter la réalité historique, des histoires amoureuses. Et le bât blesse, ici. Ah, il faut bien dire que le film tourne autour d’une péripétie effectivement survenue à Tombstone, en Arizona, le 26 octobre 1881.
La notice qui figure sur notre amie Wikipédia conte factuellement ce qui s’est passé mais ne dit pas un mot sur les amours des protagonistes. Le scénario introduit deux femmes, l’une et l’autre un peu marquées par la rudesse de la vie dans les contrées sauvages : Kate Fisher (Jo Van Fleet), prostituée plutôt mûre, pourrie jusqu’à l’os et tout à la fois charnellement attachée à Doc Holliday, aussi Laura Dembow (Rhonda Fleming), joueuse (donc tricheuse) professionnelle qui va trouver sa rédemption de façon bien inexplicable dans les yeux et les bras de Wyatt Earp. Eh bien tout cela ne fonctionne pas bien : il y a presque du vaudeville dans ce qui se voudrait une tragédie à l’antique.
Assez curieusement Règlement de comptes à O.K. Corral est un film nocturne, ce qui dénote un peu dans le genre du western.
Les trois quarts du récit se passent soit dans la pénombre des chambres à coucher ou sous les lumières tamisées des saloons et plus encore dans la nuit sans étoiles. J’imagine bien que ce parti-pris de sombre atmosphère n’est pas fortuit et que cette abondance signifie quelque chose ; je ne serais pas mécontent qu’on m’en explique les raisons sans en rester aux simples accablements du destin tragique de Doc Holliday.