Remorques

Océan d’amertume.

Sur une trame de pur mélodrame (rudes gens de mer, épouse alanguie et malade, belle inconnue mariée à un salaud, amours impossibles, mort de l’épouse, départ pour toujours de l’héroïne, retour du héros à sa dure et courageuse condition), Jacques Prévert a écrit un dialogue magnifique, plein de mots d’esprit étincelants (Il ne peut pas faire vilain tous les jours, ce serait trop beau ! ou Tu n’as pas su me garder, alors tu veux me perdre !) mais surtout très cruel et parfait de justesse sur la lassitude, le temps qui passe, l’émoi de la nouvelle rencontre…

Avant tout Jean Grémillon, malgré de considérables difficultés  (un film dont le tournage commence en juillet 39, s’interrompt puis reprend en mai 40 : on voit par là un sens incroyable du timing !), Grémillon tourne en virtuose une histoire triste en la sauvant de la facilité grâce à son sens toujours sûr de la composition de l’image ; il se sert de la caméra avec une aisance élégante dont on n’a pas beaucoup d’exemples aussi magiques ; c’était déjà vrai dans la bluette intéressante Pour un sou d’amour et davantage encore dans ce qui est sans doute son chef-d’œuvre, l’admirable Gueule d’amour de 1937, récit de fatalité et d’abjection dont Gabin était déjà la vedette, Gabin magnifique et solaire aussi bien spahi à Orange que capitaine de navire à Brest… Il y a, en tout cas, dans Remorques quelques plans à couper le souffle, en sus de ceux de la plage, notamment un travelling arrière sur la noce qui inaugure le film, superbe d’aisance et d’élégance).

L’idylle entamée avec Michèle Morgan sur le tournage de Quai des brumes était alors dans tout son éclat et il me semble qu’il est visible et évident que ces deux-là s’aiment et se désirent infiniment fort ; en tout cas Morgan, qui n’est pas et n’a jamais été – loin de là ! – une grande actrice est plutôt convaincante en femme paumée et meurtrie, vouée de toute évidence à l’échec de toute sa vie ; Madeleine Renaud est malheureusement aussi crispante que d’habitude, Jean Marchat trop veule pour être crédible (mais alors, dans cet esprit de crédibilité, que dire du Second, Tanguy, (Charles Blavette), habitué des films de Pagnol qui, malgré un nom absolument breton, parle avec un accent provençal irrépressible ?) ; le bosco (maître d’équipage) du navire, Fernand Ledoux est parfait dans l’amertume et les matelots ont les gueules burinées qui conviennent à leurs rôles…

Beau film, et DVD (MK2) de qualité, avec des suppléments intelligents (notamment présentation par Serge Toubiana), mais un son médiocre et nombre d’images rayées…

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