Comment penser que Gad Elmaleh, qui a naguère réalisé deux des plus mauvais films du siècle, Chouchou (2003) et Coco (2009) ait pu tourner Reste un peu, une des plus subtiles, les plus intelligentes illustrations du chemin difficile vers la Foi et la conversion ? Il faut croire que la hauteur du support change les choses. De la simple retranscription largement étirée de ses sketches (par ailleurs souvent excellents et hilarants), voilà que l’on entre dans un lourd mystère : comment un homme élevé dans une famille séfarade particulièrement pratiquante et très attachée à son identité juive peut-il envisager de se convertir ? Et comment peut-il annoncer cette décision à une famille qui prend cela comme une trahison, presque une abomination ?
On rit beaucoup en regardant Reste un peu ; il y a des mots, des scènes, des instants d’une extraordinaire drôlerie et la salle des Gobelins où nous avons tout à l’heure regardé le film bruissait de rires, comme on en entend rarement au cinéma. Simplement regrets parce que la moyenne d’âge était à peu près similaire à celle des spectateurs d’Amour de Michael Haneke : un large septuagénat de têtes bien chenues. On rit beaucoup donc, et sans méchanceté, ni sarcasme. Mais on réfléchit passablement aussi. Notamment au cours des interventions des hommes de Dieu des deux religions, avec qui Gad fait le point : le Père Barthélémy (Nicolas Port), le rabbin (Pierre-Henry Salfati), surtout Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de Franced’une finesse et d’une intelligence exemplaires. Mais aussi lors des réflexions, de la pesanteur des réflexions que le personnage vit lui-même.
Parce que ce n’est pas rien, se convertir : quitter le tranquille abri de son histoire familiale, du chaud confort amical et sociétal pour aller vers ce que certains estiment être une trahison, un reniement. Il n’y a rien de prosélyte, moins encore de méprisant pour qui que ce soit dans Reste un peu. Il y a un garçon qui, très jeune, entrant à Casablanca dans une église (chose pourtant sévèrement interdite par ses parents) a été séduit, émerveillé, séduit, illuminé par la Vierge Marie et qui pense qu’elle le protège à jamais. Et que son amour va le guider vers le meilleur du monde.
Beaucoup plus que la pesanteur des traditions familiales, du qu’en dira-t-on ? et du respect de l’identité, il y a – c’est sans doute cela le plus fort du film – la position particulière du judaïsme dans la spiritualité occidentale. Delphine Horvilleur le dit fortement : On peut entrer dans le judaïsme, on ne peut pas en sortir. Le peuple élu de la Genèse, choisi par Yaweh pour porter sa parole, le demeure au milieu des siècles et des persécutions. Une sorte de roc totalement stable, toujours inspiré par la conscience d’être particulier et nullement réductible aux évolutions du monde. Ce qui est une opposition totale, existentielle avec le christianisme dont le but est d’annoncer la Parole à toutes les nations.
Ce qui est bien intéressant dans le film, outre ces préoccupations qui sont d’une immense importance, c’est aussi le talent déployé par Gad Elmaleh, qui a fait appel à sa famille et à ses amis pour se mettre lui-même en scène. Il paraît que son père, David, pratiquait en amateur l’art du mime à Casablanca ; mais on ne sait pas si sa mère (Régine) ou sa sœur (Judith) avaient quelque affinité avec la scène : tout ce monde-là est pourtant d’une justesse absolue, comme tout le reste de la distribution.
Si nous ajoutons à cela une musique très inspirée d’Ibrahim Maalouf et des vues de Paris magnifiques, l’intervention d’un vieux monsieur grognon (Guy Moign) et d’une jeune fille magnifique (Olivia Jubin), on ne peut que tomber sous le charme. Qui est peut-être aussi celui des cathédrales, des cantiques, des tableaux, des peintures, de toutes les merveilles du catholicisme.
Mais aussi de l’interrogation. Gad a été très inspiré par la haute figure du Cardinal Jean-Marie Lustiger (1926 -2007), petit-fils de rabbin, juif converti. Sur un des flancs de Notre-Dame de Paris, il y a cette plaque commémorative : Je suis né juif. J’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les Apôtres. J’ai pour saints patrons Aron le Grand Prêtre, saint Jean l’Apôtre, sainte Marie pleine de grâce. Nommé 139e archevêque de Paris par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, j’ai été intronisé dans cette cathédrale le 27 février 1981, puis j’y ai exercé tout mon ministère. Passants, priez pour moi.