C’est un film composé de cinq histoires sur le même thème duretour d’Allemagne, en 1945, qui sont vraiment très inégales et dont les notes des segments, si la chose était possible, oscilleraient, à mon sens de 1 à 5 (sur 6). Mais il est vrai que c’est la loi du genre !
Même si je n’apprécie jamais beaucoup Cayatte, souvent aussi lourd et démonstratif que le sera plus tard son épigone Boisset, je dois bien reconnaître que la première histoire – Le retour d’Emma – est assez poignante.
Alors même que le prologue des cinq récits montre des tas d’images heureuses de libération des camps, de gares envahies par des prisonniers et des familles tout à la joie des retrouvailles, on est assez vite glacé, dans le capharnaüm chichiteux d’un appartement petit-bourgeois, devant ce corps presque sans vie, et en tout cas désormais sans souffle, de la rescapée de Ravensbrück, devant qui s’agitent des neveux très ordinaires de médiocrité. Tout ce petit monde a survécu, sans aucun héroïsme, sans beaucoup de fierté mais – on peut l’espérer – sans trop de dénonciations de résistants ou de Juifs – pendant les temps difficiles ; il y a eu besoin d’imiter la signature de la déportée, lors du partage d’une indivision : personne n’a été spolié, sans doute, ou à peine, mais il faut désormais entrer au plus vite dans les clous.
Et ce qui est le mieux fait… c’est cette justesse assez obscène que chacun, placé dans la même situation, agirait à peu près de la même façon… La signature régularisatrice de Tante Emma, il faudra bien qu’elle la donne… Alors, si elle peut le faire le plus vite possible, ça rassurera tout le monde… Et elle peut le faire… Elle est déjà si loin… Comment partager une expérience indicible ? Acteurs impeccables, beaux-frères et belles-sœurs suant de haine et de mépris réciproque, Bernard Blier, Helena Manson, Lucien Nat, Jane Marken… des visages banals de médiocrité, pour une histoire d’évidences cruelles, mesquines et crapoteuses…
Le second épisode, le retour d’Antoine (François Périer) est une bluette insignifiante, réalisée par Georges Lampin, qu’on connaîtra mieux inspiré, dans Les anciens de Saint-Loup. Après le propos cruel qui ouvrait le film, sans doute le concepteur de Retour à la vie, (le producteur Jacques Roitfeld) s’est-il dit qu’il fallait détendre l’atmosphère : c’est alors une histoire un peu douteuse de barman de nuit d’un hôtel où sont logées des femmes-officiers de l’armée américaine. Douteux et niais. À oublier.
Le troisième récit est, il me semble, le plus long et le plus complexe : on y trouve tout Clouzot, la façon de faire exister ensemble des gens très différents, comme dans L’Assassin habite au 21 et l’interrogation sur la nature du Mal, comme dans Le corbeau : dans un caravansérail coloré, ancien hôtel de passe où cohabitent réfugiés et prisonniers de retour des camps, Jean (Louis Jouvet) est revenu brisé et cassé, moins encore dans son corps, qui n’est pourtant pas très vaillant, que dans son âme, meurtrie par l’horreur. Ça commence presque en satire des planqués, des vertueux et des grincheux (l’inévitable Noël Roquevert) mais ça s’achève en tragédie : deux Allemands prisonniers et blessés se sont enfuis et réfugiés dans l’hôtel, l’un d’eux dans la chambre de Jean qui voit en lui davantage un homme qu’un ennemi, d’autant qu’il a l’air d’un brave type, est professeur de langues, etc
Mais c’est aussi, l’apprend-on vite, un des tortionnaires de la Gestapo locale, un de ces méticuleux employés à qui la guerre et les circonstances ont donné l’occasion d’exalter le goût de l’abominable qui est en lui – comme il est en chacun de nous ! – avec toutes les justifications requises : On ne peut s’arrêter avant que l’Autre ait parlé, sinon les coups déjà donnés n’ont pas de sens ! … Il y a là, sur une des questions vraiment graves qui agitent les Hommes, une scène d’une très belle hauteur de vue, et dans quoi Jouvet est impérial. Cela aurait pu, en tout cas, constituer tout un film…
Mais il fallait achever Retour à la vie ; on a donc encore deux histoires assez bien faites, l’une et l’autre tournées par l’aimable Jean Dréville, le bon artisan de La cage aux rossignols.
La première, Le retour de René est à la fois gentille et grinçante. René, c’est l’alors célébrissime Noël-Noël, archétype du Français moyen qui porte, comme toujours, le prénom changeant seul, le patronyme de Martin, le plus porté de France. Voilà que René Martin, quinze cent millième prisonnier rapatrié, et comme tel célébré par les Pouvoirs publics lors d’une cérémonie grotesque à la Gare de l’Est, voilà donc que René Martin, artiste dresseur de chiens de son état, découvre en rentrant chez lui que sa femme est partie avec un autre et que son appartement est occupé par des Havrais dont la ville a été détruite par les bombardements. Il n’a plus rien que la tendresse de ses bêtes, qu’un vieil oncle lui a gardées, mais il va retrouver vite l’amour, grâce à la charmante veuve qui vit dans ses propres pièces. Rien de bien fort, là-dedans, sinon quelques rosseries envoyées aux comités d’épuration qui sévissent partout et qui jugent sévèrement les femmes de ménage qui ont, les malheureuses, travaillé à la Kommandatur, où c’était bien payé ! et aux Résistants qui ont pris d’assaut la station de métro Wagram, une heure avant l’arrivée de la Division Leclerc.
La seconde histoire contée par Dréville est plus aiguë, c’est celle de Louis (Serge Reggiani) qui revient dans son village en compagnie de sa jeune épouse allemande. Et l’hostilité des villageois à cette pauvre jeune femme perdue, rescapée de Hambourg ou de Dresde, est d’autant et évidemment plus forte que tous n’ont pas été impeccables durant l’Occupation. Mais il y a aussi un regard sûrement vrai porté sur ces campagnes où pour la troisième fois en soixante-quinze ans, on avait dû durement affronter l’Allemagne et où on n’avait pas forcément le cœur porté à l’indulgence.
Il y a une scène, qui n’est pas du tout sotte, où le maire du patelin (Paul Frankeur) accompagné du garde-champêtre et du tambour municipal vient, dans la cour de la ferme de René, lire le long martyrologe de tous ceux qui sont morts au cours des guerres. En 1949, la réconciliation n’est pas chose si simple et on mesure, d’ailleurs, ce qu’il aura fallu de courage au Général de Gaulle et au Chancelier Adenauer pour, en 1963, enterrer solennellement les rancunes…
Doux Jésus ! que j’ai été long, sur un film qui ne mérite pas tant de glose et tant de patience du (très éventuel !) lecteur…. ! Mais je l’ai déjà dit sur un autre fil : ces films-là, si nous n’en parlons pas, qu’est-ce qu’il en restera ?