Incroyable ! J’ai été effaré de constater que Roubaix, une lumière était déjà le quatrième film d’Arnaud Desplechin que je regardais. Le réalisateur en a tourné quatorze et j’en ai donc vu plus d’un tiers alors que tout, dans le personnage du réalisateur, notamment son adulation pour les délinquants sans-papiers me fait horreur ! Qu’est-ce qui me prend donc de ne pas fuir absolument tout ce que tourne un type si éloigné de moi par toutes ses orientations ? Peut-être, tout simplement, son talent de tourneur d’images qui fait que, malgré que j’en aie, je ne peux pas trouver absolument abominables Rois et reine, Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) ou Tromperie.
En ressentant toutefois, à chacune de ces découvertes, une grande quantité de ce que je ne peux pas appeler autrement qu‘ennui. Voilà le mot lâché. La charge la plus lourde de la condition humaine, comme dit Jean Giono ; j’exagère un peu, l’ennui gionien conduisant aux pires extrémités (celles d’Un Roi sans divertissement), celui de Desplechin n’amenant qu’à la sensation d’avoir bêtement perdu deux heures de sa vie, ce qui n’est pas rien, pourtant.
Pas à dire, Roubaix, une lumière, c’est bien interprété et bien filmé, rien à reprocher. On sent la patte (et la pâte) d’un cinéaste de talent qui sait capter des images et diriger des acteurs. On est d’autant plus agacé qu’avec de telles qualités, le réalisateur n’aboutisse qu’à un gros gâteau indigeste qu’on n’a aucune envie d’apprécier.
Des films sur la routine policière, sur la sinistre, malodorante, accablante mission des éboueurs de la société, il y en a des centaines et davantage. Depuis peu de temps finalement le regard se porte tout autant sur le quotidien un peu minable des commissariats qu’il n’allait naguère sur les as de l’élucidation des crimes obscurs et sur l’arrestation des pires malfrats. Et donc, à Roubaix, une des villes les plus pourries de notre France, alors qu’elle en a été jadis une citadelle industrielle, il y a, vague petite clarté dans la saleté, une équipe d’hommes qui luttent. Équipe dirigé par Yacoub Daoud (Roschdy Zem), issu de la cité, qui y est demeuré. Dans l’équipe du commissaire arrive Louis (Antoine Reinartz) jeune policier catholique, idéaliste, un peu incertain sur le métier qu’il a choisi.
Les affaires désolantes se succèdent, la triste eau grise quotidienne, si pénible à voir s’écouler, impossible à étancher. Si le film s’appelle aussi une lumière c’est sans doute aussi parce que le poste de police est le seul endroit où, nuit et jour, brûle une lampe, où on peut venir dire ses malheurs, jusqu’à en inventer, pleurer sur sa vie dévastée, tenter de fuir un destin complétement déterminé et absolument odieux.
Un soir de Noël, incendie dans une ‘’courée’’. Qu’est ce que c’est que ça ? Une ou deux rangées de petites maisons basses dans une ruelle privée à laquelle on accède par un passage étroit. Beaucoup de courées sont très étroites donc assez sombres me souffle ‘’Wiki’’. Enquête de voisinage. Deux filles marginales, alcooliques, droguées, qui habitent ensemble, Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier) sont entendues.
Un peu plus tard est découvert dans la courée le cadavre d’une vieille dame, étranglée sur son lit. Les deux voisines sont évidemment tout de suite suspectées. Parce que les évidences ne trompent que rarement. Et au bout d’un interrogatoire infiniment moins puissant que celui de Garde à vue, les aveux déferlent.
Je l’ai dit, Roschdy Zem est très à l’aise dans le rôle du policier calme, consciencieux, mais sceptique sur l’Humanité et conscient qu’il ne parvient pas à vider les écuries d’Augias qui débordent de plus en plus de fange et de sanie. Et Léa Seydoux parvient à se rendre presque laide et rebutante ce qui, à mes yeux, est une belle performance.
Mais, malgré les belles tristes images quelquefois oniriques, malgré la distribution, Roubaix, une lumière est un film sous-alimenté, atone, asthénique. Le cinéma n’est pas là pour capter la réalité, dans l’ennui pesant de sa quotidienneté (ceci est le rôle du documentaire), mais pour peser la réalité dans l’esprit du spectateur ; ça n’a rien à voir.