Des lendemains qui déchantent.
Voilà un film bien maladroit, bien mal tourné, aux acteurs mal dirigés, à la conduite du récit très incertaine. Un film qui doit comporter de très nombreux éléments autobiographiques, presque tous intéressants, mais qui les ordonnance mal, les présente sans habileté, mélange sans nuances les péripéties intimes et le substrat historique et montre insuffisamment le dilemme qui s’offrait aux jeunes communistes de 1952 : un révolutionnaire, un croyant révolutionnaire peut-il avoir une vie privée et parvenir à séparer ses activités militantes de ses relations affectives ? Avant que j’y revienne, je note que c’est exactement ce qui se passe au sein du groupuscule trotskyste Lutte ouvrière (le parti de Mme Arlette Laguillier et désormais Nathalie Arthaud) où les rencontres, amours, amitiés et tout le bataclan sont soumis au bon vouloir du Parti.
Film bien maladroit, mais qui ne manque pas d’intérêt, toutefois, pour qui s’intéresse à la vie politique du siècle dernier et notamment à l’invraisemblable aura dont bénéficiait le Parti communiste français dans les années qui ont suivi la Guerre. Avoir pu faire oublier les errances qui ont suivi la conclusion du Pacte germano-soviétique et la complaisance dont les militants communistes ont fait preuve jusqu’au déclenchement de l’attaque contre l’Union soviétique, l‘Opération Barbarossa, le 22 juin 1941, était déjà un bien bel exploit. Avoir fermé les yeux sur les monstruosités staliniennes des procès de Moscou et des déportations massives au Goulag en était un autre.
Toujours est-il que, dans le début des années 50, le vent souffle avec vaillance et détermination dans le dos des organisations communistes, que les cellules d’entreprises ou de quartiers se multiplient et que la jeunesse active ressent, avec la Foi des premiers chrétiens, le besoin de s’immerger dans l’activité militante.
Nadia (Charlotte Valandrey) est un des purs produits de cette espérance eschatologique. Véra Belmont, la réalisatrice de Rouge baiser est elle-même la fille d’émigrés juifs biélorusses et communistes et n’a cessé, tout au cours de sa carrière de mise en scène cinématographique, de représenter la réalité qu’elle a vécue ou imaginée (Milena 1991, Survivre avec les loups 2008). On peut le concevoir, comme on peut concevoir la fascination qui intervient dans l’atmosphère de pureté sectaire où baignent les militants, chez qui n’existent que les perspectives grandioses (jusqu’à la niaiserie absolue) qu’offre la lecture de la presse en adulation envers Staline.
Il se trouve que, d’une façon tout à fait hasardeuse, la jolie Nadia rencontre le jeune désinvolte photographe Stéphane (Lambert Wilson), qui vient d’un tout autre milieu social et ne se préoccupe guère que de produire de bons reportages et de bonnes images pour les joyaux de la Presse bourgeoise (notamment Paris-Match, qui avait à l’époque un poids et une influence qu’il est difficile de se représenter aujourd’hui). Attirance, agacement mutuel d’être attiré, exaspération devant l’évidence, alors que, parallèlement, se prépare et se joue la grande manifestation insurrectionnelle du 28 mai 1952, contre Ridgway-la-peste, le général étasunien en poste en Corée, accusé faussement d’avoir employé des armes bactériologiques.
Tout ce qui se passe lors des réunions de la cellule dirigée d’une main de fer par Roland (Laurent Arnal), les séances d’autocritique et d’exclusion, mais aussi les flammes militantes est tout à fait intéressant : secte, église, groupement, quels que soient les termes qu’on emploie, donnent une image de ce que fut la religion laïque du communisme ; mais dès que l’on erre vers des phases plus sentimentales, le film prend l’eau.