Sacco et Vanzetti

Un mythe étonnant.

À moins qu’on apprécie fortement les films de procès (du type Douze hommes en colère), on pourrait n’accorder qu’un intérêt poli à ce film mythique, jusqu’à présent inédit en DVD, et que j’ai découvert aujourd’hui, sans être bien certain que le ramdam créé grâce à la non moins mythique ritournelle de Joan Baez valait la peine de le ressortir quarante ans après.

Car, au niveau cinématographique, c’est assez banal. L’image est terne et grumeleuse, les flashbacks d’une grande banalité et les acteurs sans éclat. L’excellent Gian Maria Volonte, qui interprète Vanzetti, est complètement éclipsé par le non moins excellent Riccardo Cucciolla qui est Sacco.

93887638_706695En fait, il faut replacer Sacco et Vanzetti dans son contexte. Non pas celui de 1920 – où les deux hommes furent arrêtés – ou de 1927 – où ils furent exécutés – mais de 1971, date de présentation du film.

J’exagère évidemment beaucoup en écrivant cela : si Sacco et Vanzetti furent appréhendés et condamnés, c’est bien sûr, évidemment, parce que les États-Unis connaissaient, au lendemain de la guerre, une vague d’attentats nihilistes qui ne faisait pas dans la dentelle (38 morts pour une bombe déposée à la banque Morgan en 1920) et qu’ils devaient naturellement se défendre contre ceux qui les attaquaient (à tort ou à raison, je ne me prononce pas là-dessus, et suis assez sensible aux discours sur la violence intrinsèque de la société capitaliste).

Mais 1971, c’est trois ans après 1968, qui fut, dans le monde entier, non pas seulement en France, une sorte d’acmé de l’espérance révolutionnaire, où tout a paru permis et où, pour appuyer le mouvement, on a fait appel à toute la mythologie traditionnelle (la Commune de Paris, la révolution russe, la guerre d’Espagne, le Front populaire, Proudhon, Rosa Luxemburg, la Passionaria et toute la clique).

Le film de Giuliano Montaldo n’est pas du tout ennuyeux, mais m’a semblé, moi qui ne l’avais jamais vu, terriblement scolaire, s’efforçant de suivre, d’une façon engagée mais très honnête, les replis et circonvolutions d’une histoire criminelle assez trouble et encore aujourd’hui très controversée (d’après ce que je lis ici et là, Sacco était coupable, mais Vanzetti ne l’était pas, ou le contraire, ou tous les deux, ou aucun des deux).

Le cinéaste, en tout cas, ne donne pas beaucoup de chair à ses personnages, moins encore à leur environnement : Rosa, la femme de Sacco (Rosanna Fratello) n’a presque pas de substance ; je veux bien que le réalisateur ne souhaite pas tomber dans le romanesque et pense donner à son film plus de force en le tournant comme un constat aride, mais cette sécheresse ennuie un peu. Les personnages les plus intéressants sont, finalement, les méchants, le juge Webster Thayer (Geoffrey Keen) et le procureur Frederick Katzmann (Cyril Cusack). Mais ils sont si outrageusement des salauds que le propos intelligent du film en souffre un peu.

sacco_protestCar, oui, ce propos est intelligent, moins fouillé néanmoins qu’il devrait l’être, à peine développé par le Gouverneur du Massachusetts et le juge Thayer lors d’une entrevue avec Vanzetti : c’est à partir du moment où, de bonne foi sans doute, mais aussi voulant en faire des étendards, les partisans de Sacco et Vanzetti se sont emparés de la situation et, au lieu de s’en tenir aux faits, plutôt favorables aux accusés, ont souhaité développer l’aspect politique de l’affaire, que le sort des deux pauvres bougres a été scellé.

Céder aux pressions internationales qui demandaient la grâce des deux hommes (Mussolini compris !), c’était paraître montrer une insigne faiblesse et désarticuler tout le système judiciaire du pays : plus les manifestations étaient intenses, dans le pays et dans le monde entier, moins le pouvoir avait la faculté de reculer. C’est ainsi que Jupiter aveugle ceux qu’il veut perdre et que les braves gens indignés vont à l’encontre de leurs nobles buts… (On peut, toutes choses égales par ailleurs, retrouver ce genre de questions dans l’angoisse qui saisit le Régent devant la nécessité de faire exécuter le marquis de Pontcallec, dans Que la fête commence).

Et comment ne pas repenser aussi aux dernières paroles de Vanzetti, reprises dans la chanson-culte de Joan Baez : Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. Tu parles ! Les époux Rosenberg ont été, eux aussi, à la suite d’un procès ambigu, passés à la chaise électrique en 1953, vingt-cinq ans après. Mais il y a toujours des jobards qui croient à la Révolution.

 

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