Elle méritait bien mieux !
Ce film est, paraît-il, extrait d’un feuilleton de plus grandes dimensions, tourné pour la télévision ; dès lors on se demande pourquoi ses producteurs – ou sa réalisatrice – ont tenu à le présenter dans les salles, où il ne fera que quelques milliers d’entrées et où il décontenancera tous les spectateurs qui ne seront pas venus pour admirer le jeu remarquable de Sylvie Testud.
Car le seul intérêt de ce Sagan de Diane Kurys est là, dans la manière dont l’actrice s’empare du personnage, parvient à le faire vivre, à donner à entendre sa voix, ses gestes, son malaise devant la vie, son incapacité à grandir…
Pour le reste – et c’est peut-être une conséquence du découpage nécessaire pour obtenir deux heures de film à partir de trois heures de feuilleton – on dirait une suite de vignettes détachées les unes des autres, une suite de scènes à faire, quelquefois brillantes et bien filmées, mais le plus souvent proches de simples coups de projecteur : Sagan et le succès, Sagan et ses parents, Sagan et ses hommes, Sagan et ses femmes, Sagan et son fils, Sagan et la drogue….
C’est bien dommage, parce que s’il y a eu une révélation littéraire spontanée et éblouissante, dans le milieu des Années Cinquante, c’est bien celle de Françoise Sagan, qu’on aurait dit issue de nulle part et qui avait d’emblée trouvé un ton d’une telle originalité simple qu’on peut, à la simple phrase, le reconnaître.
J’ajoute que, pour qui n’a pas un peu de goût pour le monde littéraire français de ces années-là et des années suivantes – la tonitruante entrée dans le monde de l’édition de René Julliard, l’importance de Guy Schoeller (le créateur de Bouquins), mari de Sagan, la part prise par Bernard Frank dans ce microcosme – ou qui n’a pas souvenir de l’empire mondain exercé par Jacques Chazot, interprété par Pierre Palmade, créateur de Marie-Chantal, ordonnateur suprême des élégances et des rosseries parisiennes, le film de Diane Kurys semblera bien abscons…
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Ce que je reproche au film est de ne pas donner la moindre image de l’extraordinaire talent littéraire de Françoise Sagan, et moins de montrer quel furent les immenses succès publics de ses débuts que de l’enfermer dans le germano-pratinisme, et de ne précisément la présenter que comme la figure de proue d’un milieu littéraire que peu de personnes se rappellent.
La comparaison avec Edith Piaf n’est pas absurde, mais demeure limitée : l’image de la chanteuse est infiniment plus populaire et populeuse, les tonnes de livres écrits sur elle et ses amours (pas seulement avec Marcel Cerdan) ont donné sa vie en pâture et, qu’on le déplore ou s’en félicite, on ne joue là ni avec le même niveau de célébrité, ni avec la même qualité artistique…
Palmade est trop laid pour évoquer bien Jacques Chazot, mais Denis Podalydès est parfait en Guy Schoeller ; à la sortie de la Mairie, où il vient d’épouser Sagan, un ami lui dit : Je viens de bavarder avec ta femme : qu’est-ce qu’elle est intelligente ! ; et Schoeller, homme à femmes s’il en fut, de lui répondre : Tu ne crois tout de même pas que je l’ai épousée pour sa beauté !.