Juger, c’est refuser de comprendre.
Après avoir tourné bon nombre de documentaires bien-pensants qui ne sont pas tous inintéressants (Nous 2021) généralement consacrés à la douleur de l’exil des Africains en France (mais alors pourquoi ne pas revenir dans le pays dont on est issu ?), Alice Diop a réalisé son premier film en 2022.
Un film adapté d’une malheureuse histoire vraie, étrange et toujours mystérieuse affaire survenue en novembre 2013 dans la nuit venteuse et sûrement glaciale d’une plage de Berck-sur-mer dans le Pas-de-Calais.
Fabienne Kabou, d’origine sénégalaise est âgée d’une petite quarantaine d’années lorsqu’elle abandonne sa petite fille de quinze mois sur la plage nordique et revient tranquillement à Paris. La police n’a pas trop de mal à l’identifier Le procès a lieu en juin 2016 ; la femme est condamnée à vingt ans de réclusion criminelle, réduits à quinze en appel. Elle est sortie de prison en mai 2023 avec de longues obligations de suivi judiciaire.
Le film d’Alice Diop reprend avec exactitude, à ce que j’en sais, le déroulement du procès d’assises au tribunal de Saint-Omer en transposant simplement les identités. C’est ainsi que Fabienne s’appelle désormais Laurence Coly, fort bien interprétée par Guslagie Malanda. La jeune femme est souplement interrogée par la présidente du tribunal (Valérie Dréville) et raconte son enfance et sa jeunesse, récit qu’on découvrira plus tard entremêlé de fantasmes, de mensonges, d’ambiguïtés.
Étrange parcours que le sien, déchiré entre parents sénégalais séparés. La petite fille admire beaucoup son père qui lui met une forte pression pour qu’elle réalise de bonnes études et sa mère, absorbée par son travail mais aussi sensible à l’appel magique de la ténébreuse Afrique, des marabouts et des voyants. La vie tissée d’ombres.
Le récit est fort et potentiellement passionnant tant les mystères de l’âme humaine sont d’une complexité infinie et toujours susceptibles de nouvelles explorations. On n’est guère gêné par la modestie des moyens et par le parti-pris de filmer presque exclusivement les joutes et incidents du prétoire. Mais malheureusement c’est trop long (près de deux heures), trop lent et trop écrit avec d’interminables monologues déclamés d’une façon un peu emphatique.
Je ne vois pas non plus ce qu’apporte au film d’être examiné du point de vue de Rama (Kayije Kagame), romancière qui écrit un texte sur le mythe de Médée et qui se trouve enceinte, comme l’a été Laurence. Question posée sur la maternité ? Va savoir !
Ce qui me semble sous-jacent, à l’insu peut-être de la réalisatrice, c’est la radicale incompréhension de deux civilisations, de deux conceptions du monde, pratiquement incompatibles. Les démons de l’Afrique ne sont pas ébranlables.