Époustouflant et dégradant
Ce Salo est un film immonde et dégradant. Dégradant pour ceux qui l’ont conçu et réalisé, dégradant pour les adolescents qui l’ont tourné (imagine-t-on qu’il y a des parents qui ont accepté que leurs fils et leurs filles puissent s’abîmer à tourner ça pour une poignée de lires ?), dégradant pour le spectateur qui n’en sort pas indemne.
J’ai eu la sale faiblesse, profitant d’un tout petit prix et de la nécessité de compléter une commande, d’inclure dans mon achat cette saleté que je m’étais toujours refusé à voir et que je tenais – à juste titre – comme le vomi humain d’un Pasolini, malade dont la mort crapoteuse et crapuleuse et sans doute recherchée, le 2 novembre 1975, sur une plage d’Ostie, par une bande de petites gouapes vicieuses, à qui, tel le Cyril Collard des Nuits fauves il demandait vraisemblablement de lui pisser dessus intervint curieusement juste avant la sortie du film.
Film qu’il ne faudrait toucher qu’avec des gants d’égoutier pour ne pas se salir si l’on y était contraint, comme le souhaiteraient les bons esprits rencontrés dans les suppléments du DVD, qui verraient bien projeté Salo aux enfants des écoles ! Film d’un étrange et talentueux cinglé, un pourrisseur fasciné par sa propre sanie qui, transposant les plus immondes de ses envies secrètes. Car ça se voit, le Pasolini, qu’il a envie d’enfiler à n’en plus finir culs de filles et culs de garçons, qu’il a envie de manger leurs merdes et d’enduire tout le château de purin humain dans une sorte de sanie universelle, dans un chaudron d’immondices, qu’il a envie enfin, de ne plus contenir les codes sociaux les plus extrêmes, qu’il a envie de découper des sexes vivants, de brûler des pointes de seins, de couper des langues, d’étriper, d’essoriller, de dévorer peut-être ces chairs souillées !
Parvenus au point de la haine de soi dans laquelle ces intellectuels à cerveaux brillants et totalement déstructurés, prêts à tout pour franchir toujours un pas plus loin vers le dégoût d’eux-mêmes qui leur permet seul de s’autoriser à se détruire, il n’y a rien d’autre qu’à organiser une sorte de Crépuscule et de Suicide collectif pour obtenir de nouvelles sensations, pour faire un pas de plus dans la dégradation….
Me font, à ce propos, doucement me gausser ceux qui font de ce film atterrant une métaphore, une représentation mythifiée de ce qui fut la Seconde guerre mondiale et plus encore la brève république fasciste de Salo (qui devait ressembler beaucoup plus, dans sa dissociation finale, au bar que tient M. Tonin, à Moissac, dans Lacombe Lucien : un grand désordre partiellement corrigé par une anarchie plus grande encore !). Le récit crapuleux et crapoteux contre qui s’adosse Pasolini, c’est une des cingleries énumératives, calembredaines de l’horreur collationnées par Sade tout au long de sa vie de détraqué. Qu’on ait pu donner de l’importance à cette polygraphie répétitive et répugnante me donne de curieux éclairages sur le goût de nombre de mes contemporains… En tout cas, si métaphore il y a, c’est celle de la cruauté intrinsèque de l’Homme, lorsque le pouvoir sur quoi il est appuyé est indifférent ou complice ; tortures de grands seigneurs méchants hommes (l’histoire de Salo, en plus doucereux, en plus érotique, en plus magique, l’histoire de la Comtesse Erzébet Bathory, narrée notamment par Walerian Borowczyk dans ses Contes immoraux, torture des Bleus sur les Vendéens, tortures contre les paysans révoltés de la Russie, tortures, désormais des khmers rouges, des tueries de Macias Nguemo, d’Idi Amin Dada, de Menguistu, des Hutus et des Tutsis et de tant de milliers d’autres…
Toujours est-il qu’à l’heure où j’ai écrit cela, je ne suis pas persuadé que le DVD arrivé hier par la poste ne repartira pas demain soir par la poubelle ; déjà, ça dégagera ma responsabilité lorsque la police des mœurs viendra enquêter sur les corps fragiles, de 14 à 17 ans qui, torturés, dénudés, humiliés, massacrés, avaient donné à Pasolini une de ces dernières occasions d’orgasme, occasions qui l’ont tant émoustillé qu’allant draguer sur la plage d’Ostie, il ne lui arrivera guère que ce qui devait lui arriver et qu’il recherchait depuis quelques temps déjà avec une fascination étrange…
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On a évoqué, à propos de Salo L’empire des sens et Cannibal holocaust et parlé de films de cul, là où le sexe, précisément, le sexe bon enfant et souriant du type des Galettes de Pont-Aven n’a pas grand chose à voir…
Mon indifférence mêlée de méfiance pour tout ce qui est japonais ne me permet pas d’évoquer L’empire des sens, que je n’ai jamais vu et ne verrai jamais, mais je suis un trop grand amateur de Cannibal holocaust pour laisser quiconque comparer ce film roublard, complice et distant tout à la fois à la vraie saleté qu’est Salo ; car dans Salo, il y a un véritable engagement, un véritable halètement extatique d’un type qui réalise enfin ce que toute une partie de lui-même rêve d’accomplir.
Un des suppléments du DVD montre un réalisateur pénétré de lui-même et de son importance artistique, employant un langage précieux pour tenir un propos boursouflé (Le film veut démontrer l’inexistence de l’Histoire) et rejoint là-dessus par une camarilla de thuriféraires (il y avait longtemps que je ne l’avais pas placée, celle-là !) qui s’imaginent livrer un combat de titans contre la bête immonde. La palme à Hélène Surgère, excellente actrice et véritable idiote qui évoque – sans rire – les dangers fascistes, parce qu’elle a vu en 1975, défiler quelques militants du M.S.I. et qu’elle a vécu la grande peur (!) du 21 avril 2002. Mais Jean-Claude Biette n’est pas mal non plus dans le genre grande conscience vigilante. Et tout à l’avenant.
Ces braves gens et quelques autres étaient moins circonspects quand, pour les besoins du film, on faisait marcher à quatre pattes et japper comme des chiens toute une meute d’adolescents nus, qu’on leur servait de grands baquets de merde (je sais ! de la merde de cinéma ; mais ces gamins et gamines avaient de 14 à 17 ans ; quel joli début dans la vie !) et tous de s’émerveiller sur l’atmosphère charmante et gaie – une vraie déconnade – qui régnait sur le tournage ; heureusement il y avait une vraie vigilance antifasciste !
Putain ! si l’on veut voir ce qu’a été la Résistance, on regarde L’armée des ombres, on ne se crée pas de fausses peurs avec de vraies perversions !
Je donne volontiers acte que, hier soir, dans le dégoût qui me submergeait, j’ai sans doute été excessif dans mon aversion de Pasolini et que l’assassinat d’Ostie est plus complexe que je ne l’ai dit ; cela étant, il est évoqué, dans le supplément que je mentionne presque comme une des conséquences du film par les intervenants. Comment ne pas se rappeler que Pasolini a réalisé une Évangile selon Saint Mathieu qui est une merveille de pureté… Complexité des êtres et fulgurance des vices…
Ce qui est terrible, c’est que Salo est magnifiquement tourné, que sa composition est d’une logique impeccable, que la musique (Ennio Morricone !) est magnifique… Mais 0, 0 vraiment !
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Catalogue de fantasmes sado-maso. C’est ça, Salo, et rien d’autre.
Imaginer que le film de Pasolini est une énième dénonciation de ce que fut le nazisme, c’est tomber dans le panneau de la bonne conscience : Oyez, oyez les aberrations, les monstruosités, les épouvantes que peut susciter un régime inhumain !
Et, sous-entendu : si moi, Pasolinije peux me rincer l’œil et m’exciter le bulbe avec ces images de culs offerts – quelque genre ils aient – et de merde dévorée, c’est grâce au très bienvenu nazisme qui, du fait de son caractère diabolique, dédouane mes épouvantables pulsions…
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Ce débat (?) part dans tous les sens, et de façon absolument ridicule. Où voit-on que Pasolini ait un seul instant suggéré qu’il s’inspirait de faits réels ? Nulle part ! Les questionnements en ce sens sont absurdes et même inconvenants ! Si l’on veut voir le système concentrationnaire, il y a Nuit et brouillard, il y a Shoah, il doit y avoir une tripotée d’autres films !
Mais il faut tout de même revenir aux fondamentaux ! Qu’est ce que Les 120 journées de Sodome ? Une des multiples et obsessionnelles recensions par Sade des monstruosités de l’âme humaine ! Je rappelle que Donatien Alphonse François de Sade a vécu de 1740 à 1814 et qu’il n’a absolument, absolument aucun lien de parenté avec les regrettés Adolf Hitler et Benito Mussolini ; que ses pulsions monstrueuses sont celles qui animent les Hommes, certains hommes, riches et pauvres, puissants et misérables, petits et grands confondus depuis l’aube des temps.
Et il faut rappeler que dans le film de Pasolini, les quatre monstres organisateurs sont – comme dans le récit du Marquis – le Duc, l’Évêque, le Président et le Juge et que cette dénomination parabolique indique assez nettement qu’il ne s’agit pas d’un récit historique fondé sur des faits réels, mais qu’elle est une métaphore de ce qui fascine le réalisateur : le Pouvoir, et ce qu’il peut infliger aux misérables humains dès qu’il est sans limites (et c’est pour cela qu’il choisit l’épisode historique et fantasmé de Salo : un moment où plus rien n’existe que l’Arbitraire (le Duc le dit : Nous les fascistes, nous sommes les plus grands des anarchistes…du moment que nous avons le Pouvoir).
Ce que je trouve néanmoins répugnant dans Salo n’est pas la constatation de cette évidence, mais la complaisance de l’auteur à l’illustrer de ses propres fantasmes.
Maintenant, s’il plaît à certains d’imaginer que des hiérarques pansus ont pu – à Salo, à Moscou, à Auschwitz, à Pékin, à Buenos-Aires ou – pourquoi pas ? – à Paris – réaliser cette fantasmatique, libre à eux ! Mais ça n’aura pas de rapport avec un film terrible et répugnant ! Et ça ressemblera seulement à une réalité assez banale, finalement, comme celle de toutes les folies du monde, celles de Marc Dutroux, du Pasteur Pandy, de John et Rosemary West, du sympathique Joseph Fritzl qui séquestrait sa fille en Basse-Autriche et lui faisait des enfants… et celle de bien d’autres… Au concours des monstres, il y a chaque années de nouveaux inscrits !
Avant de tenir des propos du niveau du Café du Commerce sur le nazisme, le système concentrationnaire et tutti quanti, j’invite chacun à regarder le film.
Ou, si l’on en est dégoûté d’avance et si l’on se refuse à le voir, à n’en pas parler.
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Certains ont fait part de leur désolation que la barbarie et la cruauté aient pu apparaître en Allemagne (…) et en Italie, pays notés justement comme hautement civilisés… Là encore, comme beaucoup de nos petits camarades, personnalisation du mal chez les séides de MM. Hitler et Mussolini. Comme si c’était si simple ! Comme si ce Mal n’a pas existé de tout temps et partout, sous tous les régimes, les plus libéraux et les plus autoritaires, les plus progressistes et les plus conservateurs ! J’imagine que certains hiérarques de la Cour du Président Mao, certains pervers de la côterie du bienveillant Joseph Staline, certains maboules de l’entourage du Président Fallières (ou du Président Loubet, ou du Président Doumergue) se donnaient les mêmes facilités écœurantes !
Et ce n’est pas même – pas du tout ! – une question de Pouvoir politique, mais une question de Pouvoir tout court ! Lorsque dans les familles du lumpen-prolétariat français (à Outreau, à Angers, à Boulogne) des pères et des mères prostituent, violent, profanent leurs enfants, c’est aussi une démonstration démoniaque de la domination de certains êtres sur d’autres…
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La comparaison faite de Salo avec La grande bouffe me paraît extraordinairement pertinente et bienvenue ! Dans l’un et l’autre cas, il y a le dégoût de soi et du monde… (mais, évidemment, dans le film de Ferreri, les quatre cinglés ne font de mal qu’à eux-mêmes, ce qui constitue une différence évidente !).
Ce n’est pas parce que il y a aussi dans Cannibal holocaust de la crasse et de l’horreur qu’il y a un rapport, en revanche…
Et la dénonciation (vachement courageuse, trente ans après !!!) de la République de Salo par Pasolini ne doit abuser personne : hors de donner quelques (belles) images tournées au bord d’un lac du nord de l’Italie, de munir les gardes-chiourme de chemises noires, et quelques assassins d’uniformes allemands, tout ce fatras d’horreur aurait pu se dispenser de prétendre s’insérer dans une réalité historique ; il me semble même que le film aurait gagné en horreur et en percussion s’il avait été intemporel…
Mais – comme je l’ai écrit plusieurs fois depuis trois jours – si Pasolini n’avait pas fait mine de dénoncer la Bête immonde, il aurait peut-être été plus embêté par la censure qu’il l’a été ; au nom de l’anti-fascisme, on n’a pas trop osé lui chercher des poux…
Et j’y reviens encore et le confirme : c’est un très bon film, aux images obsédantes, que j’aimerais finalement bien ne pas avoir vu… (Nos actes nous suivent ! ).
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Salo m’est cicatrice, avec toute la charge de souvenirs, de blessures, mais aussi de sentiments d’être rescapé qu’une cicatrice peut comporter… Cicatrice qui s’effacera ou non…
Sous les réserves que j’ai (trop) amplement développées (de protection sous l’alibi commode de l’antifascisme), Pasolini gratouille – ou plutôt scarifie – non pas là où ça fait mal (nous ne sommes pas TOUS fascinés par ce qui le fascine), mais d’évidence en plein cœur de réalités et de désirs existants. Et, contrairement à ce que j’ai écrit précédemment, on ne peut pas lui en donner tort : Celui qui n’ose pas, de temps en temps, penser avec calme une chose affreuse ne sera jamais à tu et à toi avec la nature humaine, écrit Jules Romains, humaniste s’il en fut dans Comparutions, vingt-quatrième volume des Hommes de bonne volonté.