Moi qui apprécie davantage les trucs désespérés, désespérants, ou même sordides, voilà que j’ai été bien touché par cette histoire triste, émouvante que j’ai trouvée sans mièvrerie. Cela malgré la sensibilité du sujet qui aurait pu bien facilement tomber dans l’emphase larmoyante. La graduelle descente de Claire Poussin (Isabelle Carré) dans la nuit d’Alzheimer et l’histoire d’amour qu’elle noue malgré tout avec Philippe (Bernard Campan), voilà qui est délicat à tourner. D’autant que Claire est une jeune femme sage, douce, fragile qui n’a que 32 ans. Et que Philippe souffre de troubles de la mémoire à la suite d’un accident de voiture où il a tué sa femme et son petit garçon.
En se promenant sous un orage, ce qu’elle a toujours aimé, Claire a été frappée par la foudre ; et depuis lors, elle a des difficultés à trouver ses mots, en oublie certains ; à sa demande sa sœur Nathalie (Anne Le Ny) la conduit pour examen dans la clinique du professeur Christian Licht (Bernard Lecoq) qui reçoit une vingtaine de pensionnaires qui, tous, ont des problèmes de mémoire. Excellente exploration de caractères, de troubles singuliers, de manies bizarres ; des gens plutôt doux, dont plusieurs ne sont pas internés dans l’établissement – qui s’appelle Les écureuils – mais y viennent simplement passer la journée et recevoir les soins du personnel médical : la psychologue Marie Carrasco (Zabou), l’orthophoniste Isabelle (Guilaine Londez) et quelques autres dont Robert (Dominique Pinon). Une particularité : c’est dans cette clinique que la mère de Nathalie et de Claire a vécu ses derniers jours, plongée dans un profond Alzheimer.
Au début, le film est léger, presque amusant : le caravansérail des malades est pittoresque, animé, plutôt chaleureux, malgré les sautes d’humeur de quelques uns, malgré un coup de sang de Philippe contre Claire. Bonne manière de montrer que les deux jeunes gens sont attirés l’un vers l’autre. Et Claire se sent si bien dans la maison qu’elle demande à sa soeur de l’y laisser vivre. Il n’est pas encore dit que les troubles qu’elle ressent ne pourront pas être graduellement éliminés par la douceur et le traitement de rééducation.
Et puis non : il y a une constance inéluctable de la vie : que Claire et Philippe deviennent passionnément amoureux ; surtout que l’équipe médicale soit bien obligée de constater que Claire s’enfonce graduellement dans la nuit et régresse sans espoir. Le professeur Licht prend alors la forte décision de pousser les amants à vivre leur vie en faisant confiance dans la force d’amour de Philippe pour qu’il porte Claire aussi loin que possible.
Commence alors une vie de couple rythmée par la sonnerie des réveils qui indiquent à Claire l’heure où elle doit faire ceci ou cela, en consultant la multitude de post-it collés dans tout l’appartement ou le grand tableau où sont inscrites les tâches quotidiennes ; et ça marche, malgré les terribles cauchemars qui réveillent en sursaut Philippe.
Jusqu’à ce que… Zabou Breitman achève son film sur une note claire où les deux malades s’embrassent follement alors que Claire a perdu tout usage de la parole articulée. À quoi bon, s’est-elle dit peut-être de montrer ce qui se sera passé plus tard.
Et voilà ; moi qui ne suis pas fleur bleue pour un sou, j’ai été touché. On n’est jamais si féroce qu’on le pense.