On est à peine étonné que Seule contre la mafia soit inspiré d’une histoire vraie : le film, d’ailleurs, a presque un côté documentaire et expose de façon très claire le processus de paralysie infligé par la Mafia à toute une population. Les gens sont à la fois rassurés par l’existence d’un ordre – injuste mais gage de stabilité – et terrifiés par la menace insidieuse ou, s’il le faut, plus explicite que la Pieuvre fait peser sur eux. Contre-société parfaitement organisée qui ne s’embarrasse pas de scrupules et – surtout ! – de formalités. L’allégeance au capo, au patron reconnu vaut protection absolue, faveurs diverses, passe-droits et avantages. Terrible, non ? Être du bon côté… ou n’être rien.
Un beau mec, un beau gosse à belle gueule veule, Vito Juvara (Alessio Orano) est le neveu préféré, donc le successeur désigné d’un important parrain de la région de Palerme, Don Antonino (Amerigo Tot), qui part faire quelques mois de prison. Vito reçoit de son oncle le conseil d’épouser au plus vite une très jeune fille, une vierge issue d’une famille pauvre, qui l’assiéra dans la respectabilité traditionnelle tout en lui devant tout et étant, par principe, absolument soumise.
Et voilà que le regard de Vito se pose sur une très jeune fille – elle n’a que quinze ans – Francesca Cimarosa (Ornella Muti) qui, en plus de réunir toutes ces conditions est extrêmement jolie. Don Vito, littéralement, achète. C’est-à-dire s’approprie une sorte de surface personnelle, qui lui donnera devant ses malencontreux et minables sbires, la surface qu’il lui manquait jusqu’alors. Vito ne peut pas imaginer que la fille, un peu considérée comme un bétail de qualité, puisse avoir la moindre réticence à ses ukases et à ses prescriptions.
Seulement Francesca n’est pas de cette race qui se soumet. Elle est séduite par le beau Vito, grisée par la vie opulente qu’il pourrait lui donner, à elle et à sa misérable famille, mais elle ne veut pas être un simple objet de loisir ou de luxe ; elle n’a aucune envie de se soumettre avec déférence aux ordres de son mari. Elle veut aimer, tout simplement. Et, s’il n’était pas corseté par la conformité sicilienne, Vito n’y serait pas opposé. Mais que diraient ses copains, ses hommes de main, ses sbires ? Et que dirait sa parentèle, dans quoi il est incarcéré ?
Parti ainsi, on comprend bien que Seule contre la Mafia expose un discours suffisamment complexe pour satisfaire qui veut y réfléchir. Que faire, dans un monde qui n’imagine pas une seconde aller plus loin ? Ornella Muti, dont c’était là le premier rôle, montre un talent magnifique, jeune fille perdue, accablée, à la fois amoureuse et haineuse du type qui lui a, pour toujours, pourri la vie ; les autres acteurs tiennent avec qualité leur rôle. Ennio Morriconne donne là une de ses partitions les plus médiocres ; on se dit que ça se passe à peu près bien. Mais aussi que ça se termine très mal.
Violée, Francesca porte plainte. Malgré les pressions de tout le monde, ses parents, terrifiés, les premiers, mais aussi de presque tous les gens de la bourgade, y compris la mauvaise figure du prêtre complice. Et le capitaine des Carabiniers (Pierluigi Aprà) ne lui cache pas que son attitude sera difficile à tenir.
Francesca, qui demeure amoureuse mais dont la fierté est entière propose à Vito de retirer sa plainte et de l’épouser. Mais il devra respecter son épouse et ne pas la traiter comme une serpillère soumise. Le voyou refuse de s’engager. Les carabiniers emmènent Vito. On peut penser qu’il sera condamné. Mais les dernières images sont pour les larmes de Francesca. On aimerait bien savoir ce qu’elle va devenir.