Silence

Des mondes parallèles.

Je viens simplement de découvrir ce Silence de Masahiro Shinoda, sorti en 1971, adapté d’un roman de Shusaku Endo qui est, paraît-il, un grand écrivain catholique de la trempe de Georges Bernanos ou de Graham Greene.Je ne peux pas pour autant m’abstraire de l’émotion profonde et du bouleversement intérieur que le film de Martin Scorsese avaient suscité en 2016, tant ce regard absolument intelligent détonait sur la masse grouillante des films du quotidien.

Cela dit, il fallait bien être l’immense Martin Scorsese, l’auteur merveilleux de Taxi driver, de Raging bull, d’After Hours (mon préféré), de Casino et de tant d’autres films d’importance pour oser réaliser un remake forcément occidentalisé, moins ancré dans la mentalité japonaise que ne l’est le film originel. On pourrait d’ailleurs avancer que le film initial adopte davantage le point de vue nippon, et le remake le point de vue occidental, même si la force de la Compagnie de Jésus, dont sont issus les trois missionnaires protagonistes est d’avoir une souplesse d’adaptation qui lui a permis de s’implanter durablement dans le monde entier et d’assoir sur tous les milieux une forme de puissance.

Dois-je à nouveau revenir sur le récit et l’aventure déterminée de ces deux religieux portugais, Francisco Garrupe (Don Kenny) et Sebastian Rodrigo (David Lampson) envoyés de Macao par leur Ordre pour retrouver la trace de leur maître Christophe Ferreira (Tetsuro Tanba) qui n’a plus donné signe de vie depuis des années et qui semble avoir abandonné les petites communautés catholiques persécutées par la volonté identitaire du Japon de ne pas laisser s’acclimater des croyances qui ne correspondent pas à sa nature, à son ethos ?

Et cette volonté s’applique avec la rigueur, la discipline, le perfectionnisme que chacun s’accorde à reconnaître aux habitants de l’Empire du soleil, aux côtes agressives, hostiles, désolées, à sa structure hiérarchique arrogante, à sa soumission native à l’Autorité. Ce n’est pas pour rien qu’on a surnommé les Nippons les Prussiens de l’Asie et qu’on les a toujours retrouvés dans les pires aventures barbares. L’éclairage d’ouverture apporté par les premiers missionnaires au milieu du 16ème siècle a été si bien accueilli par la population que les autorités ont assez vite compris que la religion nouvelle mettrait fin à la cohésion et à la structuration des îles. D’où la persécution.

Le film de Masahiro Shinoda est tourné dans une lumière sombre, étouffée, presque terreuse. On se croit quelquefois dans une gravure de Jacques Callot ou de Louis Le Nain. Pluies battantes, obscurités sévères, maisons demi-enterrées, offices des ténèbres : ce qui correspond tout à fait à ce que pouvaient être les Catacombes romaines où se développait, malgré les rigueurs de Rome, l’Église du silence. Cela malgré tortures, humiliations, indignités.

Mais oui, chacun a sa logique ; Tout le monde a ses raisons comme le dit Jean Renoir, dans une des rares répliques de qualité de La règle du jeu ; c’est une des qualités du roman et des films qui en ont été tirés : rien de sordide, ni de mesquin, malgré la cruauté des comportements, qui fait partie du jeu. Selon l’Inquisiteur Inoue (Eiji Okada), le christianisme est un cadeau mal venu imposé au destinataire.

Dès lors, que dire ? Le christianisme n’est tout simplement pas assimilable à l‘ethos du Japon, si fort, si particulier, si étrange.

Et pour le reste, c’est-à-dire l’apostasie, se reporter à ce que j’ai écrit sur le Silence de Martin Scorsese.

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