Simplet

Trop belle pour lui.

Pendant une bonne trentaine d’années, il y a eu, dans le cinéma français, un genre bien particulier : celui de la provençalade, cousu de paysages délicieux, de chants de cigales, de bonnes doses de pastis, de répliques tonitruantes, de trognes sympathiques, d’accents qui fleuraient l’ail et l’artichaut barigoule. Mais aussi, assez souvent de grains d’amertume que sèment les amours difficiles, les filles abandonnées, les déceptions des braves gens. Si l’on se penche avec un tout petit peu d’attention sur les films de Marcel Pagnol (y compris la Trilogie de Marius, qui est moins provençale que marseillaise), on s’apercevra vite qu’il y a bien des gouttes tristes ; et qu’avec un peu de férocité, on pourrait se retrouver du côté souvent glaçant de la comédie italienne.

Au fait, Carlo Rim qui est le scénariste et le dialoguiste de Simplet, supposé réalisé par Fernandel, avait été l’élève de Pagnol et, sans doute en avait retenu certaines leçons, notamment celle de glisser une goutte de fiel dans l’aïoli. Dans les films qu’il a lui-même tournés (L’armoire volanteLa maison Bonnadieu) ou ceux qu’il a scénarisés (Justin de Marseille ou Le mort en fuite) il y a de petits décalages à peine perceptibles, qui grisaillent un peu le paysage.

Le scénario de Simplet est plutôt équilibriste et même déséquilibré : Rocamour et Miéjour, deux villages des calanques marseillaises, nourrissent depuis toujours une animosité définitive. Le premier village semble n’avoir de chance avec rien et recevoir tous les embêtements du monde. Le second présente une population prospère et sereine, seulement animée par l’aversion envers les gens de Rocamour.

À Miéjour, au milieu de l’habituelle collection de braves gens bien typés, paresse Simplet (Fernandel), qui vit de l’air du temps et de chapardages, passe son temps perché dans les arbres en dialoguant, en sifflotant des trilles avec les rossignols, les merles et même les hiboux. C’est d’ailleurs ainsi juché qu’il serine ce petit couplet qui eut tant de succès en 1942 qu’on se le rappelle davantage que le film :
On m’appelle Simplet
L’innocent du village
Doux comme un agnelet
Je mèn’ la vie d’un sage
Chantant gaiement
Moi je vis de l’air du temps.

Tout le monde aime bien le fada, surtout le Papet (Édouard Delmont), qui est à deux doigts de fêter son centenaire, et que Simplet fournit en douce en saucisson et en vin rouge, malgré les interdictions médicales. Petit monde villageois : le maire, Ventre (Henri Poupon), Mlle Aimée (Maximilienne), la revêche institutrice, Artemise (Milly Mathis), la commère, le bienveillant curé (Henri Arius), et puis le pharmacien, le forgeron, les pointilleux gendarmes… Les santons de la crèche, en quelque sorte, dont Simplet est le Ravi.

Mais toute communauté comporte son méchant : à Miéjour, c’est Rascasse (Andrex) un sale type violent, un braconnier qui pêche à la dynamite en échappant toujours aux gendarmes et qui vit avec la jolie Cigale (Colette Fleuriot) qu’il terrorise et bat et dont – évidemment – Simplet est éperdument amoureux.

Simplet n’est pas tout à fait dépourvu de défauts : il en a un, surtout, qui est gênant : il boit trop et a tendance alors à perturber le bon ordonnancement des choses. Aussi, quand un ministre est annoncé pour inaugurer la statue d’Hippolyte Fougasse, originaire du pays et Académicien, est-il pris un arrêté municipal qui enjoint aux habitants de ne plus donner à boire à l’Innocent. Parallèlement Simplet voyant qu’il ne sera jamais aimé de Cigale projette de se pendre et, pensant l’avoir fait, va sonner les cloches du glas. Poursuivi, il s’échappe… Mais le jours de l’inauguration de la statue, il surgit, caché sous la bâche qui recouvrait la sculpture. Les villageois de Miejour se sentant ridiculisés bannissent le pauvre garçon qui se réfugie à Rocamour, la cité honnie.

Mais il était, en quelque sorte, le talisman, le paratonnerre qui protégeait son village natal, où tout se dégrade à une folle vitesse.

On devine la suite, n’est-ce pas ? Cigale, envoyée à Rocamour par le conseil municipal pour demander à Simplet de revenir rencontre le brave pêcheur P’tit Louis (Georges Alban). Simplet est. bien déçu ; il se résigne ; il monte dans son arbre rejoindre le rossignol. Un peu comme le petit bossu de Naïs ; ce n’est pas parce qu’on n’a pas de chance qu’il faut cultiver l’amertume.

Mais il y en a.

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