Soleil trompeur

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La Russie martyre

L’environnement historique du film – qui n’est pas forcément bien connu en France – est celui pendant laquelle l’Union Soviétique s’est complétement fermée aux influences extérieures, pour s’instituer en phare révolutionnaire, en Contre-Église à quoi des millions d’existence ont été sacrifiées et tant d’espérances fauchées.

La Russie, en 1936, est donc opaque et close, les échanges avec l’extérieur sont réduits au minimum, dans tous les domaines (sait-on que l’URSS participe à ses premiers Jeux Olympiques seulement à Helsinki, en 1952, et c’est l’URSS triomphante de la victoire sur l’Allemagne !) et pourtant il n’y a guère qu’une quinzaine d’années que la Révolution a triomphé : c’est très bref et ça laisse subsister des pans entiers du monde enfui ; ainsi, au tout début de Soleil trompeur, lorsque Mitya le traître (Oleg Menshikov) rentre à l’aube dans son appartement bourgeois à proximité de la place Rouge et qu’il est servi par un vieux domestique, français ainsi qu’il était de règle dans toutes les familles de qualité, qui n’est pas encore bien parvenu à maîtriser la langue russe (André Oumansky).

Le colonel Kotov (Nikita Mikhalkov lui-même), héros de la révolution soviétique a épousé Maroussia (Ingeborga Dapkunaïté), issue de la très bonne bourgeoisie d’avant-guerre, et il est à peu près parvenu à s’intégrer dans le monde raffiné, nostalgique, condamné, de sa belle- famille. Le couple est venu passer un dimanche d’été dans la confortable datcha où la vie est paisible entre dentelles et samovar, porcelaines précieuses et soupirs discrets sur cet Avant qui n’est plus possible.

Sergeï Kotov est pris entre les deux mondes : celui de sa femme et celui qu’il voudrait offrir à leur fille, Nadia (Nadezhda Mikhalkova, sa propre fille dans la vie) et qu’il évoque dans une séquence très pure, lors de la promenade en barque sur la rivière, lorsqu’il dit que la Révolution a été faite pour que tout le monde puisse avoir les doux petits petons de Nadia qu’il caresse alors…

Le retour de Mitya auprès des siens, auprès de Maroussia dont il a jadis été amoureux va commencer à abîmer le calme apparent des choses. Mais, pour Kotov et les siens, il y a bien pire que Mitya : il y a Staline.

L’extraordinaire, de ce film qui dispense une rare puissance d’émotion et dont la fin est d’une désespérance totale, est sa conformité à l’âme russe, telle qu’on la voit en Occident mais surtout telle qu’elle doit réellement être : on y passe du rire aux larmes, de la tendresse au burlesque (la séquence où les grands-mères jettent à l’eau les médicaments de la servante hypocondriaque, Mokhava (Svetlana Kryuchkova), les pitreries de l’oncle Kirik (Vladimir Ilyin), de la gaieté à la gravité, de la légèreté au tragique d’une façon qu’on ne connaît pas en Occident.

La journée d’été s’achève et la paix descend sur la terre russe ; Kotov va monter dans la voiture des tueurs du NKVD et sait très bien qu’il ne reviendra pas, qu’il ne reverra plus tous ceux qu’il aime ; et c’est à ce moment, juste avant la dure séquence finale que Mokhova et les grands mères entonnent Les cloches du soir, une de ces bouleversantes chansons slaves qui appellent la sérénité et le repos, alors même que Kotov va mourir, sa femme et sa fille vont être déportées en Sibérie, Mitya va se suicider…


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