À force de tutoyer l’obstacle…
J’écrivais dans mon message sur le premier volet de Soleil trompeur 2 qui s’intitule L’Exode, ma perplexité devant le choix de Nikita Mikhalkov d’agglutiner les personnages du drame intimiste sur fond historique qu’est l’admirable Soleil trompeur de 1994 et la fresque historique gigantesque, démesurée, même qu’il tourne avec sa suite. Je disais concevoir que le réalisateur ait choisi de plonger les personnages du premier opus dans la tragédie de la guerre, de sa violence collective, de la sauvagerie imbécile de ses massacres, de ses champs de bataille dévastés mais n’être pas très convaincu du résultat, qui m’a semblé artificiellement conduit.
Au vu du second volet, intitulé La citadelle de Soleil trompeur 2, je persiste et signe et je suis malheureusement bien obligé de constater que les défauts relevés dans L’Exode ne sont pas gommés mais, bien au contraire, accrus, parce que la part faite aux cheminements, déchirements et déchaînements de la famille du général Kotov (Mikhalkov lui-même), de sa femme Maroussia (Viktoriya Tolstoganova, et non plus Ingeborga Dapkunaïté), de sa fille Nadia (la fille cadette du réalisateur, Nadezhda Mikhalkova), du traître Mitya (Oleg Menshikov) prennent trop de place et lient, ou tentent de lier des fils très artificiels, qui font quelquefois songer à ces romans feuilletons où, miraculeusement, les protagonistes se rencontrent dans des endroits et circonstances improbables.
De quoi s’agissait-il, dans Soleil trompeur 2 ou plutôt, de quoi aurait-il pu s’agir ? de montrer la dureté de ce que les Soviétiques ont appelé la Grande guerre patriotique avec toute la complexité de sa conduite : impréparation des troupes et insuffisance du matériel lors de l’attaque Barbarossa de juin 41, panique des civils, mais aussi résignation si profondément russe devant le malheur ou, plutôt, capacité à l’endurer ; sacrifices rendus possibles par l’immensité du territoire et l’importance des réserves humaines ; héroïsme de beaucoup, lâcheté de bien d’autres ; cruauté machiavélique – et d’une terrifiante efficacité – de Joseph Staline ; goût slave pour l’outrance, l’hystérie, le lyrisme qui conviennent si bien à cette terre sans fin…
Avec dans ses mains ce riche matériau, appuyé sur des moyens de tournage considérables (milliers de figurants, d’avions, de chars d’assaut, feu, pluie, soleil, grêle, neige, forêts de bouleaux, Volga, Dniepr, plaines démesurées), Nikita Mickalkov aurait sans doute pu créer une histoire forte, tragique, émouvante en se passant de toute la force romanesque du premier opus, en en fondant un autre récit et d’autres personnages (qui auraient pu, peut-être croiser les premiers au détour d’un épisode). Mais là, contraint par son parti-pris, le cinéaste se voit contraint de recoudre de toutes parts son histoire, ce qui peut donner de curieuses ruptures de ton, comme le retour de Kotov et de Mitya dans la datcha d’antan où rien n’a apparemment changé, où les vieillards ont simplement pris quelques années et quelques rides de plus… L’artificialité est immédiate : à la fin de Soleil trompeur, tout est dévasté et tous sont morts ou vont mourir ; une série de cartons indique sèchement le sort des personnages, pendant que Mitya (Oleg Menshikov) se suicide dans la baignoire de son appartement de la Place Rouge. L’ennui, c’est que tout le monde est présent cinq ans plus tard lorsque Soleil trompeur 2 commence, sauvé par des subterfuges douteux, mélodramatiques même ; on veut bien admettre que tout arrive, mais l’accumulation des coïncidences est néanmoins lourde à porter.
Cela dit, et malgré cette réticence, Soleil trompeur 2 est bien loin d’être le (double) film médiocre qu’a cru vouloir la presse occidentale, à l’exception de la lourde erreur de distribution qui a contraint de remplacer la lumineuse Ingeborga Dapkunaïté par Viktoriya Tolstoganova, agaçante, médiocre, sans épaisseur. Mais il y a de l’ampleur, de la fraîcheur, des scènes grotesques et poignantes tout à la fois (les noces du pauvre petit soldat amputé des deux jambes, au milieu de la foule de ses parents et amis qui jouent tellement à être en liesse qu’ils le deviennent, l’accouchement d’une pauvre fille violée par les Boches dans un camion bombardé par les stukas)…
Et bien d’autres merveilles pour ceux qui aiment l’âme russe…