Perfection et limite d’un genre.
Beaucoup d’entre nous n’ont pas beaucoup d’intérêt pour la comédie musicale brillante d’avant-guerre, celle qui, dans ses tourbillons, tentait de faire oublier la crise économique et la montée des périls, cette comédie musicale incarnée comme aucun genre ne l’a été à ce point par deux acteurs mythiques, Fred Astaire et Ginger Rogers qui, en six ans, de 1933 à 1939, tournèrent neuf films (dont cinq sous la direction de Mark Sandrich). Il y a pourtant de belles réussites…
Sur les ailes de la danse est le sixième film de cette collaboration et il est réalisé, cette fois, par George Stevens, qui tourna, plus tard le beau western L’homme des vallées perdues et le trop long Géant ; mais si le réalisateur n’est pas un habitué du couple, le chorégraphe, Hermes Pan est, lui, toujours le même tout au long des films disposant de cette faculté de créer des pas nouveaux, sur des thèmes toujours aussi artificiels et rebattus, et pour des situations toujours finalement un peu identiques : le moindre escalier, la moindre barrière, le plus léger accident de terrain lui sont prétexte pour lancer les danseurs dans un de ces exercices de virtuosité, d’allure et de charme que personne, ensuite, n’a même essayé de seulement imiter.
Ces moments de grâce pure, d’apparente aisance – qui sont en fait le résultat d’un travail passionné et acharné : Ginger Rogers, bosseuse obstinée, ressortait souvent les pieds en sang de ces longues séquences qui semblent aériennes – ces instants ailés sont extrêmement bien mis en valeur par la caméra de George Stevens qui, d’emblée se faufile dans les coulisses d’un théâtre, dans ses escaliers, et qui ne cessera de bouger au rythme des danseurs, avec des plans magnifiques.
La musique n’est pas d’Irving Berlin ou de Cole Porter cette fois, mais d’un autre merveilleux mélodiste de comédie musicale, Jerome Kern, qui signe avec The way you look tonight un de ces jolis petits chefs-d’œuvre éternels qu’on a bonheur à fredonner ; les dialogues sont plutôt réussis, encore davantage que d’habitude (ainsi, par exemple cet échange entre Rogers, reluquée par le gommeux chef d’orchestre Ricardo Romero – Georges Metaxa – et Astaire : Elle : – Tu n’as aucune raison de le détester… Lui : – C’est bien plus amusant de détester les gens sans raison !.
Autant de points positifs pour un film qu’on ne parvient tout de même pas à noter au dessus de 4, sans doute à cause de la bêtise de l’intrigue, à cause d’une construction un peu lâche, peut-être aussi de l’absence d’une féerie aussi grandiose que celle qui achève Top hat, à mes yeux chef-d’oeuvre incontesté du genre…