La fin du film, à la fois sommaire, évidente (dans le contexte de l’époque) et démonstrative, me fait baisser d’un point une note que j’aurais voulu plus excellente encore.
Je n’avais vu le film qu’une fois, à sa sortie en France, en 1955, et je n’y avais vraisemblablement pas compris grand chose. Ensuite j’ai longtemps éprouvé une certaine méfiance vis-à-vis du personnage de Marlon Brando ; et tout cela m’avait retenu hors de ces Quais que j’ai trouvés sacrément bien faits, prenants et intelligents !
Les pigeons enfermés dans de pauvres cages sont, il me semble, les seuls rappels de la nature, dans cet univers sale de toits raboutés, à l’asphalte mité, aux cheminées lépreuses, de rues noirâtres et de quais interminables. Un climat d’angoisse, de fatalité qui s’installe d’emblée, bien soutenu par la musique grave de Leonard Bernstein. Les gros pardessus de la pègre new-yorkaise, les arrière-salles enfumées, la violence, le rackett, l’intimidation, la résignation fatiguée des hommes.
Les dockers, prolétaires usés sont, pour la plupart d’origine irlandaise : en témoignent les noms des personnages : Malloy, Doyle, Dugan ; et le vrai nom du patron crapuleux, Johnny Friendly – remarquable Lee J. Cobb – est Skelly (on le nomme ainsi lors du procès) ; d’où la puissance de l’imprégnation catholique ; il y a des crucifix dans toutes les maisons, et l’influence du prêtre, le père Barry (Karl Malden) est réelle ; ou est censée être telle, mais elle est paralysée par la peur.
Je ne suis pas très à l’aise avec certains points de Sur les quais, toutefois. J’ai trouvé formidable la terrible engueulade qu’Edie Doyle, la sœur de l’assassiné (Eva Marie Saint, bluffante) adresse au père Barry qui l’incitait à venir épancher sa douleur à l’église, et qui fait comprendre au prêtre que sa place de témoin est Sur les quais.
Je trouve aussi magnifique – et d’une haute teneur intellectuelle et morale – l’accusation lancée par le père Barry du fond de la cale où vient d’être assassiné Kayo Dugan (Pat Henning), qui dénonce une insulte au visage du Christ et une nouvelle montée sacrificielle au Golgotha dans toute injustice.
Mais il me qu’Elia Kazan en fait un peu trop dans la parabole, les dernières séquences voulant évoquer par trop la Passion, les chutes de Jésus dans les rues de Jérusalem, et même l’aide de Simon de Cyrène…
Bon ; et alors, Brando ? En quoi survole-t-il le rôle, en quoi y est-il indispensable ? La réponse est simple : il l’est. Sensible, buté, ombrageux, rageur, enfantin selon les séquences. J’ai bien eu raison depuis lors de regarder Le Parrain.