Jean Aurenche, qui fut le scénariste et dialoguiste presque attitré de Claude Autant-Lara était un proche ami de Jean Anouilh qui classait ses pièces en catégories : pièces noires, pièces roses, pièces brillantes, pièces grinçantes, pièces baroques, pièces farceuses, etc. À son imitation et à son instar, sans doute, Autant-Lara, sur un arrière-fond presque toujours sarcastique et souvent aigre a réalisé des films que l’on pourrait s’amuser à faire entrer dans ces catégories qui caractérisent assez bien son cinéma.
Si son chef-d’œuvre, Douce, est assurément à classer en Noir, comme Le diable au corps ou En cas de malheur, ses plus grands succès, L’auberge rouge et La traversée de Paris s’inscrivent dans la veine grinçante, tout comme la moins réussie Jument verte et Marguerite de la nuit dans la veine baroque…
Du côté rose, il y a Occupe-toi d’Amélie, Le mariage de Chiffon et, donc, Sylvie et le fantôme, ce dernier film plutôt rose pâle et même rose mièvre. Dois-je dire que cet aspect d’Autant-Lara me paraît infiniment moins réussi que celui du ricanement méchant ou de la belle machine pessimiste, comme Le Rouge et le Noir ? Et pourtant, outre la patte du grand professionnel et de ses habituels complices (Philippe Agostini à la photographie, René Cloërec à la musique), il y a un certain charme dans cette histoire poétique.
Parce qu’il y a le talent de Pierre Larquey et de Julien Carette, il y a un grand manoir à vastes corridors, escaliers dérobés et chambres immenses, il y a des enfants bien élevés, il y a des jeunes gens amoureux de l’amour, il y a la rêverie d’une jeune fille éprise d’une image ancienne et de l’espérance d’un prince doux et charmant, il y a la beauté sage, d’Odette Joyeux.
J’ai appris, dans le supplément du DVD que le rôle du « vrai » Fantôme aurait dû être confié à l’alors très jeune Gérard Philipe, au lieu de l’être à Jacques Tati (qui, lui, d’ailleurs, avait été pressenti pour jouer le Baptiste des Enfants du Paradis à la place de Jean-Louis Barrault). Mystères de la distribution ! Je pense que le choix de Philipe, pour qui je n’ai pas une adulation particulière aurait été meilleur que celui du père de M. Hulot, qui fait trop clown blanc.
Nous souffrons d’un mal incurable : nous ne sommes plus des enfants dit, en une jolie formule, Larquey, le père de Sylvie qui veut une belle fête d’anniversaire pour sa fille chérie qui va avoir 16 ans et croit aux revenants ; il engage de faux fantômes (Jean Desailly, François Périer, Louis Salou) alors qu’un vrai spectre hante le château. Le malheur, qui affaiblit un peu le film, c’est que, nous autres spectateurs avons aussi grandi.