Comment l’esprit vient aux filles.
Voilà un film très singulier, très étrange, qui décontenance un peu mais qui est très attachant, très chaleureux, comme la plupart des films qu’a tournés Robert Enrico. Un film qui surprend souvent, enchante quelquefois, interloque, même, de temps à autre, un film qui n’est pas insignifiant et qui ne méritait absolument pas l’insuccès qu’il a rencontré. Un film un peu de bric et de broc, hétéroclite mais qui finit par trouver son unité et sa signification profonde lorsque tous les liens s’unissent. C’est souvent le cas lorsque que des bribes d’autobiographie reçoivent la greffe de péripéties imaginées, ou fantasmées. Et ce sont des souvenirs de Lucienne Hamon, qui était, à l’époque, la femme d’Enrico, qui sont à la base de Tante Zita (les suppléments du DVD sont à ce sujet fort intéressants).
Ça commence en effet comme un drame intime : dans un appartement petit bourgeois parisien vivent trois femmes : Annie, qui a 18 ou 19 ans et étudie le chinois à la Sorbonne (Joanna Shimkus), sa mère (Suzanne Flon) et sa tante, Zita (Katína Paxinoú), professeur de piano. Le frère de Zita, le père d’Annie, anarchiste espagnol, après avoir fui la péninsule après la victoire du général Franco, y est retourné pour continuer sa lutte, abandonnant sa femme et sa fille, qui ne l’a pas, ou à peine, connu. Mais les trois femmes vivent dans l’adulation de son souvenir. Un générique habile a montré des photos qui déroulent le temps passé, de la guerre d’Espagne à la déroute républicaine, aux camps de réfugiés, à la réadaptation en France, à la vie paisible du petit monde. Un jour Zita s’écroule : attaque cérébrale, hémiplégie, aggravation. Mère et fille veillent, aidées par un médecin attentif (Paul Crauchet) qui est le proche ami de la famille (et sans doute aussi l’amant occasionnel de Suzanne Flon). Le cas est désespéré. Annie n’en peut plus et quitte l’appartement.
Ici le film change de ton du tout au tout ; de la tristesse intimiste parsemée de flashbacks des temps heureux (qui font un peu songer à ceux que le même Enrico insère dans Le vieux fusil), on passe à la fantaisie d’une errance nocturne dans un Paris magnifique et surprenant. Une errance qui va permettre à Annie de rencontrer non pas l’amour, mais sûrement le plaisir et en tout cas les hommes, Boniface dit Boni (Bernard Fresson), éleveur de moutons de concours dans le Béarn, Simon (José-Maria Flotats), amateur de roadsters et violoncelliste, James (Med Hondo), camarade de faculté haïtien verbeux et même l’Espagnol famélique tueur de chats (Roger Ibanez).
Le Pont des Arts (qui n’avait pas été encore touché par la dégoûtante manie touristique d’y fixer des cadenas) fait la liaison entre l’appartement où agonise Tante Zita, rue de l’Oratoire, à côté du temple protestant et les vivantes contrées nocturnes de la rive gauche, rue Mazarine, rue de Seine. Il y a là une drôle de séquence dans un grand bar de nuit où on dîne à l’étage et où, au rez-de-chaussée des bandes de jeunes se livrent à des compétitions acharnées sur des mini circuits routiers électriques (de type Scalextric : est-ce que ça existe encore ?). Et puis il y a une scène frappadingue et réussie de la poursuite du bélier Pylade, échappé de la bétaillère de Boni/(Fresson) autour de la place Saint-Sulpice, de la fontaine des Quatre orateurs et des sombres rues Férou et Servandoni… C’est enlevé, drôle, surprenant, c’est la magie de la nuit et de ses folies terrifiantes ou grotesques, un peu comme dans l’After hours de Martin Scorsese…
Et puis le film se pacifie, et Annie devient femme… La scène est un peu niaise, embaumée de ralentis, de lumières dorées et de pudeurs fausses à la manière de David Hamilton, mais c’est plus attendrissant que niais.
Un très joli film, en fin de compte. Et puis Joanna Shimkus est si définitivement belle qu’on n’a en aucun cas perdu son temps.