L’idée à peu près généralement répandue est que Tendre poulet est plutôt un meilleur film qu’On a volé la cuisse de Jupiter. L’un et l’autre film mettent en scène le couple formé par le professeur de grec Antoine Lemercier (Philippe Noiret) et le commissaire de police Lise Tanquerelle (Annie Girardot), anciens camarades de classe à Louis-le-Grand qui se retrouvent et se séduisent dans le premier opus et, dans le second, passent leur voyage de noces en Grèce. Tout cela sur fond d’intrigues policières aussi compliquées que mal convaincantes. Pourquoi pas, après tout ? Les couples un peu rassis ne sont pas denrées fréquentes au cinéma mais changent un peu des amoureux juvéniles et débutants. Autant citer les derniers en date, Prudence et Belisaire Beresford (Catherine Frot et André Dussollier) qui ont sévi trois fois dans les films de Pascal Thomas, Mon petit doigt m’a dit…, Le crime est notre affaire et Associés contre le crime. Tout ça est un peu plon-plon mais se laisse voir.
Donc il paraît que Tendre poulet est meilleur que On a volé la cuisse de Jupiter. Ma foi ! Je ne me rappelais plus guère le premier lorsque, il y a quelques mois, (ah non, je viens de vérifier, il y a presque cinq ans ; comme le Temps passe !), j’ai revu le second et n’en ai guère été emballé. Et voilà que le film initial vient de repasser à la télévision, que je l’ai regardé et que j’en ai été bien déçu. Et qu’il me paraît bien inférieur à sa suite, qui ne valait pourtant pas tripette…
C’est curieux comme Philippe de Broca est inégal ; réputé cinéaste de la légèreté et même quelquefois de la grâce créatrice (L’homme de Rio, L’Incorrigible, Le cavaleur), il peut aussi s’empatouiller dans des fantaisies qu’il rate complétement (Les tribulations d’un Chinois en Chine, Le diable par la queue, L’Africain). Et, à l’exception d’une excellente adaptation du Bossu, sa fin de carrière n’a pas été bien éclatante. Disons alors que pour le binôme consacré au commissaire Tanquerelle et à son mari universitaire, il n’était pas dans ses bons jours.
Et puis, si Philippe Noiret peut tout jouer et réussir à peu près tout, je trouve qu’Annie Girardot en évaporée glapissante et hystérique n’a pas le dixième de la qualité qu’on lui accorde bien volontiers dans les rôles graves ou tragiques où elle excelle souvent, depuis Maigret tend un piège en 1958 jusqu’à La pianiste en 2001, en passant par Rocco et ses frères, Trois chambres à Manhattan, Les camarades. À partir des années 70, elle s’est de plus en plus consacrée à la comédie, avant d’entrer dans la nuit d’Alzheimer, mais m’y a toujours paru bien moins convaincante ; à quelques exceptions près comme dans le rôle doux-amer de La vieille fille en 1972.
Toujours est-il que Tendre poulet est lourd et lent au lieu d’être aérien et endiablé comme il le faudrait, pour jouer sur les contrastes entre l’universitaire un peu libertaire et le commissaire de police issue d’une famille bourgeoise délicieusement surannée (sa mère Paulette Dubost, sa tante Simone Renant). Les scènes avec ces vieilles dames charmantes sont d’ailleurs de loin les meilleures du film. Une fois qu’on aura dit que la plastique de Catherine Alric est un régal et qu’on peut s’amuser à reconnaître au fil des images de nombreux coins de Paris, on aura à peu près épuisé tous les charmes d’un film bien inférieur à sa courte réputation.