Voilà un film qui me semble très, et même trop habile, trop plein de virtuosités et de complexités scénaristiques au point où on en serait presque agacé par ce feu d’artifices trop chatoyant pour être honnête. En tout cas pour être assez convaincant. Oh, certes, c’est brillant, élégant, plein de drôleries et de qualités, de finesses et de brios. C’est sans doute un peu trop et, à plusieurs reprises, on se croit dans un théâtre de boulevard où les mots d’auteurs succèdent les uns aux autres, où les balcons, les galeries et les parterres frémissent devant le moindre bouleversement suscité par l’habile scénariste.
Est-ce que ça va plus loin ? Voilà qui est autre chose ! To be or not to be est tenu, par les admirateurs d’Ernst Lubitsch comme l’absolu sommet de ses réalisations et comme la plus spirituelle critique présentée, en 1942, contre le totalitarisme allemand en Pologne. Voilà quelque chose de bien mérité ; on ne peut regarder qu’avec une épouvante mêlée d’incrédulité ce fanatisme boche qui a voulu imposer à une Europe civilisée ses pulsions orgueilleuses. Et, parallèlement la façon subtile, élégante, intelligente dont Ernst Lubitsch ridiculise l’Ogre.
Car je pense que tout le monde s’accordera à convenir que, sur un sujet aussi scabreux le film tutoie constamment l’obstacle sans jamais le faire choir. J’ai de la sympathie pour la grosse farce obèse des Producteurs, de Mel Brooks (1967) qui ridiculise également le national-socialisme et ses épigones, mais l’écart est tout de même bien large avec Jeux dangereux. Et mon aversion pour Charlie Chaplin m’a toujours retenu de regarder Le dictateur dont on m’a pourtant dit du bien.
Il ne faut pas perdre une réplique ni même une image de To be or not to be pour en apprécier tout le suc ; tout va tellement vite, les péripéties, les quiproquos, les coups de théâtre, les méprises, les retournements de situations interviennent avec une rapidité et une intelligence qu’on pourrait presque appeler diaboliques si, en l’espèce, le Diable n’était bien présent dans Varsovie occupée. Même si l’on était encore loin de connaître l’ampleur et les suites de la situation, moins encore d’imaginer les épouvantes qui se sont révélées au fur et à mesure que la guerre se développait, il me semble que le ton presque désinvolte adopté par Lubitsch est d’une bien meilleure efficacité que ne l’aurait été un trait trop forcé au noir.
De mêler à la pesanteur des jours ternes une variation presque libertine, le flirt de Maria Tura (Carole Lombard) avec le lieutenant aviateur Stanislav Sobinski (Robert Stack), sous le nez renfrogné de Joseph Tura (Jack Benny) mari de l’actrice et patron de la troupe théâtrale est vraiment une excellente idée de scénario qui permet d’ajouter au déroulement de l’action une complication amusante et bienvenue. Empêcher le démantèlement par les Allemands des réseaux de résistance polonais en accumulant ainsi les chausse-trapes et les difficultés venant de tous les angles donne un rythme épatant au film.
Qu’est-ce qui fait alors que je n’ai pas marché totalement ? Sans doute – j’y reviens – à ce côté cavalcadant, qui ne s’interrompt jamais, qui ne s’essouffle pas une seule minute. Je ne me sens pas en sympathie avec moi-même en écrivant cela qu’habituellement je révère ; mais le fait est : l’incroyable habileté du scénario, la qualité du jeu des acteurs, la drôlerie des dialogues m’ont ravi, mais je me suis arrêté avant le sommet ; il est vrai que je ne trouve pas qu’il y ait tant de chefs-d’œuvre que ça, au cinéma ou ailleurs.