Admirateur affirmé, et tout autant lucide de Renoir, j’ai profité de l’édition bien médiocre du DVD dans la collection Gaumont à la demande, aussi minimaliste que du René Château (mais plus élégamment présentée), pour découvrir un film jamais encore vu. Je l’ai trouvé bien maladroit et pataud, bien inférieur à La chienne et à Boudu sauvé des eaux qui le précèdent dans la filmographie du fils d’Auguste.
D’abord l’histoire est épouvantablement mal racontée, truffée d’invraisemblances qui ravalent le cinéma au rang de la pantomime (la guêpe bloquée dans le haut de la robe de Josépha et qui attend patiemment pour piquer sa proie qu’on déshabille à demi sa victime ! le gendarme en patrouille qui, caché derrière un pin, assiste fortuitement au manège de Toni voulant maquiller l’assassinat d’Albert en suicide) ;
Malgré l’abondance de très belles scènes d’extérieur (le gigantesque viaduc qui franchit le canal de Caronte, reliant l’étang de Berre à la Méditerranée, les explosions de la carrière), il me semble voir bien des maladresses (ainsi cette campagne où se croisent et s’entrecroisent, comme sur une scène de théâtre, et sans les conventions d’icelui, des tas de passants, d’observateurs et de protagonistes : on ne se croirait pas sur un chemin mal carrossé, mais sur la place de la Concorde à sept heures du soir !). Les dialogues sont également bien mitigés, et présentent des faiblesses Manquent les talents de Jacques Prévert ou de Charles Spaak qui feront tant pour Le crime de Monsieur Lange ou La grande illusion.
Pataud, maladroit, artificiel. Et pourtant bien intéressant. Parce que Renoir filme à merveille, parce que les personnages qu’il détaille et les situations qu’il met en scène sont d’une précision extrême et que, presque paradoxalement, les faiblesses de l’anecdote disparaissent – sont estompées, plutôt – par la véracité des caractères.
En tout cas de plusieurs des personnages : je serai moins affirmatif pour les deux canailles, Albert (Max Dalban) et Gaby (Andrex), d’une telle outrance dans la veulerie et la malfaisance crapuleuse qu’on n’y croit guère. Et si Toni (Charles Blavette, étonnant) fait tout de même un peu couillon, son ami Fernand (Édouard Delmont) est très bien dans la générosité affectueuse. Mais les meilleurs rôles sont ceux des deux femmes, Marie (Jenny Helia), passionnément possessive et surtout Josepha (Célia Montalvan), coquette, facile et résignée tout à la fois, génératrice de tous les drames, allumeuse et sacrifiée…
Que dire encore ? Que le côté pamphlet social, mis en valeur ici et là, et notamment dans un carton du générique qui indique que le film a été tourné dans une région méridionale où la nature assure la fusion des races, me semble bien artificiel, plaqué et, pour tout dire, superficiel. Renoir jouait, à l’époque à être communiste, sous l’influence de sa militante compagne Marguerite Houllé, alors que sa désinvolture hédoniste ne le désignait nullement à être le cinéaste officiel du stalinisme français. Et d’ailleurs, la séparation avec Marguerite accomplie, il quittera prudemment la France pour les États-Unis en admirant au passage, ainsi que le rapporte Henri Jeanson, la force et la discipline allemandes.
Superficiellement, donc, on peut voir dans Toni une prise de position humaniste où les travailleurs immigrés italiens et espagnols triment, au grand soleil écrasant des Martigues sous la conduite d’un contremaître aussi odieux qu’autochtone, et représentent des valeurs de partage et de camaraderie. Mais si l’on veut bien noter que l’oncle de Josépha, Sébastian (André Kovachevitch), lui-même espagnol d’origine, est devenu un propriétaire terrien assez envié pour que ses vignes et ses champs soient l’enjeu majeur des manigances et canailleries d’Albert et de Gaby, on n’y retrouve moins ses (généreux !) petits. En vérité, Renoir, sur un récit un peu convenu et une trame à la mode, place ses cœurs, ses passions et ses caractères.
Arrive ce qui doit arriver : c’est très bien comme ça !