Tel est pris qui croyait prendre.
J’avais vaguement. en tête que Tootsie était, à peu de choses près, la réplique du délicieux film de Blake Edwards qui s’appelle Victor Victoria où une ravissante jeune femme (Julie Andrews) qui ne rencontre aucun succès en tant que telle devient, lorsqu’elle décide de se présenter en homme, une vedette adulée. Je croyais me souvenir que Michael Dorsey (Dustin Hoffman) faisait à peu près le même chemin, mais en sens inverse, et d’homme devenu femme, rencontrait la notoriété et l’enthousiasme.
C’est cela mais ce n’est pas cela. En fait Tootsie n’est pas vraiment une comédie éclatante, mais un film malin, quelquefois roublard, pleins de clins d’œil en direction du spectateur, qui, finalement, n’interroge pas trop sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’identité sexuelle. Oh, bien sûr lorsque Sydney Pollack a réalisé le film, en 1982, il n’imaginait sans doute pas que l’une des idées les plus agressives du prêt-à-penser moderne serait celle du choix que chacun est censé faire de son orientation.
Vu superficiellement, le film est beaucoup plus simple que ça : Michael Dorsey (Dustin Hoffman), est un acteur de qualité, mais trop exigeant avec son art, et qui, de ce fait, reçoit rebuffade sur rebuffade et court misérablement le cachet en crevant quasiment de faim. Dans une sorte de coup de folie, il décide, en se grimant en femme, de bouleverser la tranquille lénifiante ennuyeuse marche d’une série. Une série, un soap opera qui ronronne et s’essouffle. Ceci sous la conduite de Ron Carlisle (Dabney Coleman) qui couche – parce qu’il faut bien coucher avec la vedette – avec Julie Nichols (Jessica Lange), et empile les épisodes sans originalité ni élan.
Et voilà que Dorsey, désormais travesti en Dorothy Michaels, détonne et dénote en imposant, dans l’ennuyeuse séquelle des épisodes hospitaliers, un personnage innovant, surprenant, détonant. Son jeu, son rôle, surprennent mais fonctionnent et font gagner à la chaîne de télévision qui diffuse le feuilleton, de larges parts d’audience. Tout cela se situe au plein milieu des ambiguïtés qu’un travestissement peut susciter et qui entrainent de nombreuses scènes un peu faciles où les désirs se manifestent ; on a vu ça dans Victor Victoria, donc, mais aussi dans Certains l’aiment chaud : il y a un regard malicieux et sans doute aussi narquois sur la mécanique du désir : qui est vraiment certain de ce qu’il veut ?
Une des meilleures qualités du film de Sydney Pollack est de montrer ce petit monde, ce demi-monde des acteurs sans succès, des comédiens sans rôles qui courent le cachet en espérant qu’un producteur, qu’un metteur en scène va les repérer, leur mettre le pied à l’étrier ou, bien plus simplement, va leur permettre de survivre quelque temps dans l’illusion qu’un jour on reconnaîtra le talent dont ils se croient tous pourvus. Petit monde autocentré, castings désespérants, subsistances minables… Écouter à nouveau Je m’voyais déjà de Charles Aznavour.
Plus banal est le cœur du film : Pollack exploite sans gêne aucune toutes les ficelles créées par la situation. C’est ainsi que Dorsey/Hoffman passe tour à tour pour être lesbienne ou homo et une mécanique bien classique de vaudeville se met en place. Disons qu’il filme ça avec une verve certaine et que l’on s’amuse bien, dans le dernier quart d’heure du film, lorsque les situations deviennent à peu près insupportables et qu’il faut bien sortir du piège.
Charge contre le machisme du milieu du spectacle, attention donnée au sort des pauvres filles qui se donnent sans plaisir aux requins qui les exploitent, plaidoyer féministe, regard porté sur les troubles mystères de la sexualité ? On peut trouver tout cela dans Tootsie. Divertissement un peu scabreux en tout cas, mais réussi.