Top Hat

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Artificiel n’est pas factice !

On peut  marquer sans mal, et même à juste titre, certaines limites du genre, celui de comédies musicales sans queue ni tête, aux scénarios indigents ou embrouillés, sans la moindre profondeur ni épaisseur, qui mettent en scène des mondes artificiels où tout s’arrange comme par enchantement, où tout est occasion de rire et de plaisir, où, finalement, la réalité n’a pas la moindre participation. On a parfaitement raison, mais je n’ai pas tort en regardant ce style comme un sous-genre important, néanmoins, dans l’histoire du cinéma : celui d’une quasi féerie, que certains esprits chagrins pourront bien considérer, avec quelque raison, pour un habile détournement des préoccupations sociales, après la grande crise de 1929.

La comédie musicale  »opium du peuple’‘, d’autant plus opiacée qu’elle se déroule dans un monde enchanté, fabriqué, truqué, même, si l’on veut ? Admettons ; comme le football et la Star-Académie aujourd’hui. Et une fois qu’on aura glosé sur le cynisme et la dissimulation des classes dirigeantes, on ne sera pas plus avancé pour autant et, boudeur, on se privera d’un bien agréable spectacle.

Sans doute aussi, les superbes, voire sublimes films de Minnelli – au premier rang Brigadoon, mais aussi Un Américain à Paris ou Tous en scène (et ce dernier film avec Fred Astaire) – sans doute ces films-là sont mieux conçus, s’appuient sur une véritable intrigue, et des caractères et personnages mieux dessinés.

Mais c’est précisément aussi pour regarder vivre ce pays sans histoire et sans profondeur que je classe haut les films de Mark Sandrich, parce que, à mes yeux, rien n’est plus faux, mais aussi plus délicieux que ces collections d’invraisemblance, ces sourires feints, mais éternels, ce faste et ce brio.

Les comédies musicales de Sandrich (mais aussi celle de Robert Z. Léonard, et sûrement de bien d’autres – je ne suis nullement spécialiste du genre -) s’inspirent avant tout des productions étourdissantes que l’on donnait à Broadway, notamment celles du grand Florenz Ziegfeld, producteur de génie qui, entre 1907 et 1931 révolutionna la scène, et sur qui sont basées au moins deux ou trois films (Le Grand Ziegfeld, Ziegfeld follies, La danseuse des Folies Ziegfeld). Des spectacles pleins de strass et de paillettes, qui faisaient rêver et mettaient en scène des dizaines de danseurs et de danseuses : c’est d’ailleurs typiquement ce que l’on voit, à la fin de Top Hat, lors de la fête dans une Venise de totale pacotille, où sont mêlés habilement les grandes scènes panoramiques filmées du dessus – les personnages ne sont là qu’objets d’esthétique -, la chanson (si Ginger Rogers n’avait qu’une voix assez banale, elle détaille à ravir Le piccolino) et le pas de deux des vedettes, Astaire et Ginger Rogers donc.

Si je choisis – toujours dans le cadre de ma liste immarcescible – de retenir Le danseur du dessus plutôt qu’En suivant la flotte, par exemple, c’est parce que la musique d’Irving Berlin est une merveille (Cheek to cheek, c’est dans ce film !)… Heureuse époque ! Irving Berlin, Cole Porter, George Gershwin à peu près en même temps…Est-ce que ça reviendra un jour ?

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