Cinq mois chez les sauvages.
Je ne suis pas très familier avec ce qui semble, depuis une vingtaine d’années, remplacer le classique film de cinéma : c’est-à-dire ce qu’on appelle les séries et que je persiste à nommer feuilletons lorsque les scénarios ne sont pas indépendants les uns des autres et doivent se voir successivement, de la présentation des personnages à l’épilogue. Je ne sais pas très bien pourquoi le genre s’est imposé avec tant de force et paraît séduire tant de publics de toute nature. Peut-être la durée relativement restreinte (moins d’une heure) de chaque segment, durée qui se conjugue avec, en sens inverse, la longue durée de l’histoire répartie sur de nombreux épisodes voire plusieurs saisons.
Ce double aspect permet de développer, autour d’un tronc solide, des péripéties adventices et souvent de creuser la personnalité de bien davantage de protagonistes que dans un film classique. Certes ; mais pour manier un char mené par autant de chevaux qui vont peut-être avoir envie de caracoler chacun de son côté, il faut disposer d’un solide cocher, d’un cocher qui sait bien où il veut mener son train et qui coupe impitoyablement les velléités d’emballement.
Il me semble bien, pour le peu que je connaisse du genre donc, que Jane Campion est de ceux-là et qu’avec son co-auteur Gerard Lee elle a bâti six heures qui tiennent la route et qui offrent au spectateur bon nombre de perspectives originales. Entendons-nous bien là-dessus : dans tous les feuilletons qui mettent en scène une intrigue policière et la recherche de coupables, on sait très bien, dès qu’on en a vu deux ou trois, que celui ou ceux dont la culpabilité semble s’imposer avec évidence ne sont jamais les auteurs du crime, même s’ils sont, par ailleurs, de franches canailles. Dès lors le spectateur qui dispose d’un QI minimal identifie au bout de deux heures le vraisemblable coupable majuscule.
Top of the Lake se passe au sud de la Nouvelle-Zélande et à des moments plutôt frileux de l’année (automne et début d’hiver ?). On sait depuis que Peter Jackson les a abondamment montrées dans la trilogie de la Communauté de l’anneau, que ces terres australes sont à la fois superbes et glaciales ; impressionnantes mais dépourvues de la moindre douceur. Les traces d’harmonie civilisée y sont inexistantes : c’est l’empire de la nature, impérieuse, sévère, indifférente à l’Homme. Les paysages filmés sont magnifiques, quelquefois même sublimes ; mais aucun ne me paraît à la mesure humaine (qu’est-on allé faire là-bas, si loin, au demeurant ?).
Il n’y a rien d’étonnant que le feuilleton soit bâti autour de personnages rudes et de situations violentes : des viols collectifs, des incestes, des trafics de drogue, de la pédophilie ; on me dira que dans nos terres européennes ces vices là ne sont pas rares. Certes, mais là-bas, tout le monde semble un peu dans le coup, alors que, hormis dans nos délicieuses cités de banlieue, il y a ici quelques respirations. Aux antipodes – et c’est sans doute ce qu’il y a de plus original et amusant dans Top of the Lake, il y a aussi une sorte de communauté féministe new âge, bâtie autour de son gourou GJ (Holly Hunter), dont le seul enseignement est à peu près Laissez aller. Une dizaine de quadragénaires et un peu plus, blessées par la vie (et par leurs mecs) qui se retrouvent entre elles pour décrocher, plus que pour autre chose. Et finalement toutes ces dames qui apparaîtront un peu cinglées au début se révéleront comme de très braves femmes, généreuses et disponibles.
J’ai dit du bien des magnifiques images filmées par Jane Campion ; l’histoire est tordue à souhait, convaincante lorsqu’on la suit mais, à la réflexion, parfaitement chtarbée et pleine d’invraisemblances. Et il faut célébrer la qualité des acteurs, en premier lieu Elisabeth Moss qui interprète l’héroïne, la forte et fragile policière Robin Griffin, mais aussi Peter Mullan, tonitruant Matt Mitcham, qui est un peu le Parrain de la contrée. Il y a beaucoup de personnages, mais aucun ne dénote ni ne détonne. Je ne dis pas que j’abandonnerai le cinéma pour la Série, mais je ne regrette pas mon exploration (même si je n’ai aucune envie de faire douze ou quinze heures de voyage pour aller découvrir Auckland et Christchurch et leurs parages).