Le Roi François Ier n’a pas seulement été le vainqueur de Marignan (et le vaincu de Pavie), le mécène éblouissant de Léonard de Vinci et de bien d’autres, le bâtisseur de Blois, de Chambord, de Fontainebleau. Deux années avant d’avoir imposé, en 1539, par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts la primauté de la langue française sur les idiomes, patois et dialectes, il a, en 1537, imposé la merveille du dépôt légal, obligation faite à ceux qui produisent tous les documents possibles d’en faire envoi à l’institution publique du royaume, chargée de les conserver et de les tenir à disposition de qui en a usage.
Presque dès l’origine logée sur le site Richelieu, au cœur de Paris, constamment étendue par l’acquisition et la transformation d’immeubles mitoyens au fur et à mesure que s’accroissaient ses collections, elle a connu un remaniement d’importance en 1868 sous la férule de l’architecte Henri Labrouste. Ceci avant de déménager, grâce à la volonté du Président François Mitterrand, la plus grande partie de ses trésors sur le site de Tolbiac dans la superbe réalisation de l’architecte Dominique Perrault.
Naturellement, lorsqu’Alain Resnais tourne en 1956 un film documentaire sur la Bibliothèque nationale, c’est sur le seul site Richelieu qu’il pose ses caméras. Et l’intérêt du film est précisément qu’il montre, avec une certaine qualité pédagogique, les mille tâches qui permettent aux chercheurs et aux curieux de s’asseoir dans l’immense salle de lecture – à juste titre baptisée salle Labrouste et de s’approprier précisément Toute la mémoire du monde.
Dans ce que filme Resnais, il y a un côté usine ancienne : des dizaines et des dizaines d’employés voués à es tâches répétitives manuelles : la réception quotidienne des journaux et des livres, leur ordonnancement, leur étalonnage, leur direction vers le département qui en assurera l’indexation, le classement, le rangement. Il y a, comme dans toutes les usines, un côté de fourmilière où les gestes des ouvriers paraissent n’avoir pas de sens ; de fait, en voyant chaque jour déferler la masse des quotidiens, on se demande bien qui pourra venir consulter le numéro du 24 août du Petit Bleu des Côtes du Nord ou celui du 12 mars de L’avenir de la Bigorre. Tout cet entreposage paraît bien vain. En tout cas ne semble vain qu’aux esprits légers qui ne conçoivent pas qu’il existe, précisément, des chercheurs et des curieux qui ont, à un moment donné de leur existence, besoin ou envie de contrôler une information ou de retrouver la date précise d’un événement.
Sans précisément donner la moindre piste de réflexion et sans vouloir expliquer pourquoi et comment le travail de tous les agents de la Bibliothèque est bien éloigné de ce qui semble être un Tonneau des Danaïdes, le cinéaste donne à voir de façon très claire toutes les phases du processus. Et même si l’on peut trouver aujourd’hui que les pieuses annotations au stylo-bille, les constitutions de fiches cartonnées sont désuètes au regard de nos modernes moyens informatiques, il est tout à fait intéressant de considérer ce lent travail intelligent.
On se dit qu’au lieu de tourner d’ennuyeuses ou puériles billevesées, Alain Resnais aurait mieux fait de se consacrer à ces tâches documentaires.
Il y a tout, à la Bibliothèque nationale : cinquante ans après les avoir écrits, j’ai pu avec une extrême facilité, retrouver les articles que j’avais rédigés dans un petit journal étudiant de province. Il y avait de la magie là-dedans.
Merci François Ier.