Voir et complimenter l’Armée française…
J’ai pu voir Trois de Saint-Cyr hier, 2 décembre, à l’amphithéâtre Austerlitz du Musée de l’Armée, aux Invalides (2 décembre/Austerlitz : voyez le clin d’œil !). Un aréopage distingué d’anciens Cyrards, mais aussi d’historiens du cinéma (le professeur Jean Tulard, notamment) présentait le film et a apporté d’intéressantes précisions sur quoi je reviendrai.
Que dire du film ? Il a été tourné en 1938, c’est-à-dire au moment où montait, de façon presque inéluctable, le péril allemand : remilitarisation de la rive gauche du Rhin, Anschluß de l’Autriche, dislocation de la Tchécoslovaquie scellée par les accords de Munich, en septembre 38 et il prenait place dans une veine patriotique du cinéma français, qui reflétait de justes inquiétudes, mais qui n’a pas tout de même laissé une grande trace dans les mémoires (Deuxième bureau contre Kommandantur de René Jayet, Le Chemin de l’honneur du même Jean-Paul Paulin qui a réalisé Trois de Saint-Cyr).
On peut se demander d’ailleurs pourquoi le cinéma français n’a pas su produire des œuvres intelligentes de qualité exaltant son Armée comme l’ont fait les Étasuniens ou les Britanniques (Les trois lanciers du Bengale) : hors ce qui touche à l’épopée napoléonienne (souvent un chant d’admiration pour le grand homme), les films que l’on pourrait qualifier de patriotiques sont plutôt orientés vers la célébration de la Nation en armes, lors de la Révolution (La Marseillaise, de Renoir) ou vers le courage des Résistants (La bataille du rail ou L’armée des ombres) ; il y aurait bien un peu Paris brûle-t-il ?, mais qui n’est pas exclusivement centré sur le rôle des soldats, loin de là.
Toujours est-il que Trois de Saint-Cyr est un témoignage fort intéressant sur l’époque de son tournage, mais sûrement pas un film qui laisse une trace majeure. Cela écrit, je ne l’ai pas trouvé ennuyeux et je lui reconnais de belles qualités.
J’ai failli, hier, lors du débat qui a suivi la projection, demander cum grano salis aux historiens du cinéma présent s’ils ne voyaient pas une analogie entre le film de Paulin et Full metal jacket du grand Kubrick : dans l’un et l’autre cas, il y a deux parties : la formation (des Marines ici, des Officiers là) puis le combat (au Vietnam ici, en Syrie là) ; la comparaison s’arrête vite, parce que les deux segments du film de Kubrick sont également magnifiques, et que seul le premier du film de Paulin vaut quelque chose.
Il s’agit donc, dans Trois de Saint-Cyr de présenter, d’abord, la vie de l’École spéciale militaire qui cantonnait alors en Seine-et-Oise avant d’être reconstruite à Coëtquidan après la Guerre, au travers de quelques élèves officiers bien typés : Pierre Mercier (Jean Chevrier) Major de promotion, Paul Parent (Roland Toutain), Père Système de cette promotion (c’est-à-dire dernier de cette promotion et à ce titre chargé, selon les rituels de l’École, d’organiser le bizutage des élèves de Première année) et Jean Le Moyne (Jean Mercanton), précisément leur cadet et bizuth. Puis quelques utilités, notamment Jean Parédès, déjà gloussant et tortillant. Tous ces jeunes gens défilent, font de l‘ordre serré, ingurgitent des cours de théorie, crapahutent, donnent et subissent brimades idiotes et formatrices.
Les jeunes Parent et Le Moyne sont camarades d’enfance. Le Moyne est, par ailleurs, le fils d’un richissime financier (Léon Belières) qui ne voit pas d’un bon œil son fils s’engager dans la carrière des armes et le frère de Françoise (Hélène Perdrière), jeune fille pimpante qui tombe immédiatement amoureuse du Major Mercier et le séduit elle aussi, bien que le Père Système Parent essaye de la lui disputer.
L’intrigue sentimentale est classique ; la partie consacrée à la révolte des Druzes l’est tout autant et tournée sans grande originalité. Le meilleur est donc la présentation de Saint-Cyr, où Polin a disposé du concours actif des cadres et des élèves, ce qui donne un son d’authenticité au film ; lors de la projection d’hier, d’ailleurs, figurait à la tribune un des cyrards qui a raconté quelques anecdotes de tournage amusantes, notamment l’incapacité de Jean Mercanton à ranger parfaitement son paquetage et l’aide que lui et ses camarades lui ont apportée.
Ce qui est bien plus enquiquinant est que tous les spécialistes d’histoire militaire réunis hier dans l’amphi Austerlitz relevaient que l’armement français mis en scène – et qui était réellement l’armement de l’Armée française en 1938 – était un matériel archaïque et obsolète, mitrailleuses datant de 1914, fusils Lebel (qui était innovant lors de son adoption en …1887), chenillettes poussives… Et le professeur Jean Tulard a conclu la séance en indiquant combien il serait intéressant de voir aussi les films allemands de la même époque que ceux de Paulin, notamment ceux de Karl Ritter…
Si vis pacem, para bellum, comme dit l’autre.