Le charme des films du prolifique et étonnant Émile Couzinet, c’est d’être absolument sans queue ni tête. Ou plutôt de dépeindre avec une joyeuse insouciance un monde si absolument décalé du nôtre que l’on pourrait jurer qu’il n’a pas existé. Pourtant le film n’est pas si vieux que ça. 1952 : le cinéma existe depuis presque soixante ans et j’ai même dû voir, enfant déjà à l’âge de raison, une ou deux réalisations farfelues de ce Couzinet bizarre qui produisit dans ses studios bordelais des tas de films du cinéma populaire ; celui qui faisait mourir de rire le brave public du samedi soir, peu regardant sur la finesse et la qualité des scénarios, des interprétations, de la photographie de films destinés aux salles périphériques. Ceci aux temps où les braves gens, qui n’avaient pas encore connu les merveilles de la télévision, se précipitaient dans les salles, quand ils n’allaient pas aux cafés.
Déjà le titre ! Trois vieilles filles en folie ! On n’imagine pas, aujourd’hui, la honte qui s’attachait à être bréhaigne (c’est-à-dire stérile, sauf si on l’avait décidé pour déraisons religieuses) ou même catherinette (c’est-à-dire non mariée alors qu’on atteint 25 ans). C’était un déshonneur, une anomalie, une absurdité qui n’était pas concevable et qu’il fallait combler au plus vite, sauf à être déshonorée. Et, qui plus est, il y avait une sorte de règle, non écrite mais pourtant contraignante qui était que l’aînée de la fratrie ne peut pas être mariée après ses sœurs plus jeunes : ça compliquait évidemment le problème.
Je ne crois pas qu’il vaille la peine de conter l’aventure scénaristique de Trois vieilles filles en folie : elle est si insignifiante et si farfelue qu’elle n’a pas le moindre intérêt. Disons seulement qu’il y a, dans une bourgade aquitaine, le richissime marquis de Taupignac (Jean Tissier), qui a roulé sa vie sur tous les bouts mais qui a eu assez de chance pour bénéficier d’héritages inattendus, de découvertes de trésors enfouis, de gains à la Loterie nationale. Paralysé à la suite de bien des excès, il est servi par Sébastien (Pierre Larquey), son valet de chambre, vieux camarade d’enfance qui a pour lui toutes les attentions possibles.
Certes, tout cela part dans tous les sens et sans aucun sens. Surviennent dans les lieux un groupe de rigolos, notamment Bébert (Raymond Cordy) et Duquel (Daniel Sorano) et aussi une troupe guidée par Jean Nohain qui chante et danse tout et n’importe quoi, troupe menée notamment par Roger Lanzac (qui fut bien plus tard l’animateur de l’inextinguible Jeu des 1000 francs).
Mettez le tout dans une moulinette (ne rêvez pas : à cette époque le mixer ça n’existait pas), laissez les acteurs en roue libre, plaquez une musique guillerette (due, d’ailleurs, à Vincent Scotto) et laissez monter le soufflé, qui n’ira pas bien haut mais permettra au moins à qui le goûte aujourd’hui, de retrouver des saveurs anciennes ; anciennes ou archaïques, peu importe d’ailleurs. Ce qui peut faire – un peu – réfléchir le spectateur c’est la juxtaposition, la coexistence dans tous les temps d’œuvres intemporelles (bien qu’ancrées dans leur réalité d’époque) mais toujours vivaces et de ce long ruban d’images qui n’ont plus de sens parce qu’elles ne sont que des photographies figées.
Et qui ont pourtant et grâce à cela, peut-être, le charme des très vieux, très très vieux albums de famille.