Fragments d’un désir amoureux.
Bien sûr que les surréalistes se sont foutus de nous et, au fur et à mesure que nous nous indignions, remettaient cent sous dans la machine ! Bien sûr que ça marchait, bien sûr que notre indignation agitait leur volupté de nous exaspérer ! Je suppose que si j’avais été un brave ancien combattant de la guerre, en 1928, dix ans seulement après l’armistice qui mettait provisoirement fin à l’horreur, j’aurais été scandalisé par cette désinvolture gamine imaginée par deux Espagnols narquois qui, ni l’un ni l’autre n’avaient connu l’abomination des tranchées et qui se croyaient de ce fait autorisés à se moquer de notre guerre civile européenne. Et que j’aurais été de ceux qui allaient saccager le Studio des Ursulines (ou qui envisageaient de le faire) parce que se ficher du monde à un point pareil, ça mérite qu’on prenne des baffes dans la gueule.
Que resterait-il, au demeurant, du film, s’il ne s’était ouvert – image glaçante, terrifiante et réussie – de cet œil coupé en deux par une lame de rasoir, que tout le monde a vue, qui est remarquablement filmée, qui impressionne chacun mais qui n’aboutit à rien ? Ajoutons, en deuxième rideau, ces cadavres sanguinolents d’ânes chargés dans des pianos à queue. Des fourmis qui surgissent dans la paume d’une main. Et, si l’on n’est pas trop exigeant, ces pulsions de désirs charnels qui dévoilent un peu seins et fesses. La belle affaire !
Pour le reste, c’est de la blague, sauf si l’on se veut complice des momeries du surréalisme, de l’écriture automatique, de l’engagement politique, de toutes les supercheries possibles à qui l’on donne un statut notable de peur de passer pour un vieux débris. On a un peu honte de regarder ça comme si ça avait de l’intérêt et de la qualité, alors que c’est un montage sans aucune pertinence, une suite de séquences inutiles.
Car ce n’est pas tout de montrer fièrement son jabot en voulant choquer le bourgeois, ce qui n’est pas bien difficile. Encore faut-il avoir l’agressivité vigoureuse et superbe. Au milieu des effluves du tango et de quelques pages de Tristan et Isolde de Richard Wagner, on s’ennuie fermement dans un court métrage qui ne compte guère pourtant que 24 minutes. C’était en 1928, dix ans après l’Armistice. Si folles qu’aient été alors les années, comment pouvait-on oublier que l’Histoire est tragique ?