Que c’est bien !
J’ai revu dans la foulée Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, parce que c’est un diptyque si bien cousu, si bien mené que chacun des volets se nourrit de l’autre, l’un plus souriant, plus lumineux, l’autre plus amer, plus sombre, l’un et l’autre de grande qualité.
Commençons par le commencement, par le premier film, avec le reproche véniel, le petit bémol, peut-être, que le personnage d’Étienne Dorsay (Jean Rochefort) domine trop totalement l’espace, reléguant presque ses trois amis dans les lointains du second plan. C’est logique, puisque le récit est très largement guidé par ses aventures et par sa sidération pour la beauté éclatante de Charlotte (Anny Duperey) qui a trouvé là le rôle le plus éclatant de sa discrète carrière.
L’habileté du scénario de Jean-Loup Dabadie et d’Yves Robert est remarquable : la séquence initiale, Étienne bloqué sur la mince corniche de l’immeuble de Charlotte, donne le ton et précipite le sage fonctionnaire d’autorité à la voix grave et à la famille harmonieuse vers l’évidence de la faribole. Et on ne se pose qu’un instant la question de savoir comment il en est arrivé dans une situation aussi scabreuse : quelques instants plus tard, la danse de Charlotte sur la grille d’aération du parking, imitée d’évidence de Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion, ouvre le boulevard… Au fait, il faut qu’Anny Duperey soit bien belle pour pouvoir (sup)porter avec tant d’aisance une des modes les plus laides qui aient jamais affublé la femme, celle des années 70, absolument hideuse.
On ne sait pas très bien pourquoi Étienne, Daniel, Simon et Bouli (Rochefort, Brasseur, Bedos et Lanoux) sont amis, où se sont rencontrés le fonctionnaire, le garagiste, le médecin, le…quoi donc au fait ? Ni tout à fait le même âge, ni le même milieu, ni le même style de vie. Le tennis, peut-être ? En tout cas c’est en quatuor que ça fonctionne le mieux, même si les trois plus jeunes, célibataires ou, comme Bouli, abandonné, peuvent se retrouver à déconner sans la présence d’Étienne, l’aîné, à peu près rangé. N’empêche que chacun d’eux, par un côté, s’accorde avec les trois autres. Et que, si l’un d’entre eux disparaissait, la bande ne pourrait plus exister, ne vivant vraiment qu’en carré parfait.
La distribution est éclatante: les quatre premiers rôles sont chacun impeccables dans leur interprétation ; je passe vite, aussi, sur l’interprétation de Danièle Delorme, qui joue avec un classicisme éprouvé efficace Marthe Dorsay, la femme d’Étienne. On sait depuis longtemps que c’est une grande actrice, et, s’il était besoin d’en avoir certitude, il n’y aurait qu’à revoir Voici le temps des assassins de Julien Duvivier, un des plus beaux rôles de garce au sourire d’ange du cinéma français.
Au delà encore, bien des autres personnages sont si originalement dessinés qu’ils laissent dans la mémoire des traces durables, parce qu’ils donnent de la substance, de l’épaisseur au film. Idées remarquables d’employer les deux tempéraments radicalement opposés de Mushi Messina (Marthe Villalonga), volcanique, exaspérante, attachante et de l’impavide Lucien, l’ami des filles Dorsay (Christophe Bourseiller), dont toutes les paroles désarçonnent, dites avec sa mine de mouton triste (à Marthe Dorsay : J’aime vos seins… Enfin… surtout le gauche…).
Dialogues d’une extrême drôlerie, voix off de Rochefort dans un subtil décalage entre les mots dits et les réalités montrées, musique narquoise de Vladimir Cosma et introduction mesurée, intelligente des premières failles qui vont, dans Nous irons tous au paradis, donner un peu plus d’ombre au parcours des quatre amis.