L’ambiance lourde des hôpitaux a de tout temps été une mine pour les œuvres de fiction, paradoxalement grâce au réalisme supposé des histoires portées. Il y a eu, jadis et naguère, une mode de ce genre de récits et le filon ne s’épuise pas, si j’en crois la notoriété que George Clooney a acquise avec la série Urgences, dont on m’a dit du bien…
Un grand patron, c’est le monde médical d’avant, celui qu’illustre Antoine, l’aîné des Thibault, de Roger Martin du Gard, celui qu’avec un immense succès dépeignait André Soubiran, dans les années Cinquante, avec son cycle des Hommes en blanc.
Évidemment, si on n’aime pas Pierre Fresnay, sa silhouette vive, son ton coupant, son œil impérieux, il vaut mieux de ne pas se jeter dans l’hôpital Bichat de 1951 : révérence absolue envers un Patron tout-puissant, adulé, admiré, obéi par tout le peuple de son service, des infirmières aux internes, patron d’un service, donc, mais aussi maître à penser d’une école dévouée à son triomphe.
Le film d’Yves Ciampi est sûrement désuet, et peut apparaître daté par les débats qu’il ouvre sur les mérites relatifs de la médecine et de la chirurgie ; il présente un monde extraordinairement clivé mais accepté absolument tel entre les patriciens, hommes du monde, confortables mandarins de la médecine et le petit peuple respectueux du savoir et bien heureux de recevoir le regard clinique de qui condescend à le soigner.
Le professeur Delage (Fresnay, donc) n’est pas un type très attachant: s’il est entièrement, totalement disponible, c’est pour la gloire de la médecine, non pas pour la guérison des malades ; ce qui le préoccupe, c’est la cohésion de son équipe d’internes et d’étudiants, et pour la gloriole de l’élection à l’Académie de médecine ; il est à peu près indifférent à la vie de sa femme Florence (Renée Devillers un peu trop parfaite dans le genre comme dans Les amoureux sont seuls au monde d’Henri Decoin), aux amours et intermittences du cœur de ses proches (sa nièce et ses élèves) : seuls comptent pour lui ses innovations de technique chirurgicale et le pas qu’il prend sur ses confrères : ce n’est pas le goût de l’argent, ni même de la notoriété, c’est une sorte de certitude d’orgueil, celle d’être reconnu par ses pairs, ceux qu’il a côtoyé lors des concours de sa jeunesse studieuse, ceux qui sont, comme lui, comblés d’honneur, d’argent et de reconnaissance sociale, mais qui savent très bien comprendre les subtiles gradations de ces guerres intestines.
Un grand patron, qui manque tout de même un peu de substance et de chair, est un bon reportage sur le monde clos de l’hôpital, y compris sous ses aspects de surface les plus roublards et les plus alléchants , comme ce tonus de salle de garde où d’excitées infirmières se dénudent en braillant des chansons paillardes. L’interne préféré, Marcillac (Jean-Claude Pascal) est, comme de juste, trousseur de jupons et ambitieux obsessionnel, il y a quelques images de tripatouillage de boyaux qui préfigurent les émissions de vulgarisation qu’Igor Barrère et Étienne Lalou proposèrent aux temps fastueux de la RTF, il y a des cas de conscience, des opérations à suspense, des larmes à l’œil… tout ce qui fait un bon film de série, qui fonctionne encore assez bien aujourd’hui !