Mais que pourrait-on reprocher à un film qui porte un si beau titre et qui est consacré à un homme de telle qualité ? Peut-être – mais ce n’est pas vraiment un défaut pour moi – d’être un peu guindé, un peu hautain, de demander au spectateur un certain goût pour l’austérité et pour des querelles juridico-théologiques qui peuvent paraître dérisoires aux crétins décérébrés, mais qui ont fortement modelé notre civilisation, son intelligence et ses subtilités. Certes Un homme pour l’éternité est long, lent, grave, se refuse presque toujours aux facilités spectaculaires mais porte haut la grande beauté de l’honneur de l’Homme.
Sur la même période de l’Histoire, le divorce et le schisme anglican d’Henry VIII, Anne des mille jours de Charles Jarrott plaçait sa caméra sur la beauté d’Anne Boleyn (Geneviève Bujold) et le désir insensé que le Roi ressentait pour elle. Plus grave, le film de Fred Zinnemann s’attache au sort d’un des hommes les plus admirés, des plus éclairés, les plus subtils de ces temps, ami d’Érasme, penseur, juriste, philosophe, ce Thomas More, si magnifiquement interprété par Paul Scofield. Thomas More qui fut l’ami du Roi et des grands et Chancelier du Royaume avant de perdre la faveur du monarque et d’être décapité le 6 juillet 1535.
Un autre film, dans un tout autre genre, dans un tout autre milieu, dans un tout autre style m’est venu à l’esprit alors que je regardais les refus de Thomas More de céder à la facilité du reniement : ce film, c’est Une vie cachée de Terrence Malick, où un modeste paysan de Haute-Autriche, Franz Jägerstätter (August Diehl), se refuse à accepter, en 1938, le règne de la Bête. Parce qu’on ne peut pas lui demander de renier tout ce sur quoi est bâtie sa vie. C’est aussi simple que ça. C’est glaçant pour les finauds, pour ceux qui ne croient en rien et qui sont prêts à se faufiler partout.
Les héros peuvent toujours passer pour des crétins. Qu’est-ce que le Lieutenant-colonel Arnaud Beltrame avait à gagner en se substituant aux otages de Carcassonne ? Le sens du devoir, la fidélité à la parole donnée, à ses convictions profondes, à la grande idée de sa propre dignité. Une des scènes les plus belles de Un homme pour l’éternité est celle où Alice (Wendy Hiller) et Margaret (Susannah York), la femme et la fille de More viennent le trouver dans sa prison pour le supplier de céder à la pression et d’accepter ce qu’il refuse.
Mais que refuse-t-il, au juste ? De céder au caprice d’Henry VIII (Robert Shaw) qui, excédé de n’avoir pas d’héritier mâle, veut répudier Catherine d’Aragon (à qui il a été marié par un tour de passe-passe théologico-juridique – j’y reviens -) pour épouser Ann Boleyn (Vanessa Redgrave). Parce que, comme le Pape refuse d’entrer dans ses vues, il se proclame chef de l’Église d’Angleterre, non soumis à Rome et arrange les choses à son avantage. Ce que Thomas More ne peut admettre, puisque, pour lui, l’autorité du siège de Pierre est incontestable, littéralement.
Malgré son austérité, le film est d’une très grande beauté formelle, présentant de superbes paysages d’Angleterre. Mais ce qui émerveille le plus, c’est la qualité homogène de la distribution. Il n’y a guère de films où l’on ne constate pas ici et là une faiblesse, une médiocrité, un mauvais choix. Là, tout le monde est absolument magnifique, parfaitement choisi, parfaitement interprété ; on croirait que tout le monde, saisi par la hauteur du sujet et par la force des caractères, se hausse à ce niveau. Une mention spéciale pour Leo McKern qui interprète avec à la fois papelardise et violence l’abominable Thomas Cromwell.
Cela étant, je m’interroge ; qui pourra aujourd’hui, comprendre le film s’il n’est pas un peu frotté d’Histoire ? Histoire de l’Europe, histoire des idées, histoire des religions. Lorsque je constate l’effondrement des niveaux de culture de la jeunesse que je côtoie, je me demande qui peut bien apprécier le film de Fred Zinnemann. Le film présente un peu trop d’ellipses pour prétendre expliquer cette période compliquée de l’histoire de l’Angleterre (qui n’est pas vraiment la plus simple qui se puisse) mais il est d’une grande beauté et, plus encore d’un très beau ton. La noblesse, en quelque sorte.
Thomas More a été canonisé en 1935 et il est le saint patron catholique des hommes politiques et des hommes de gouvernement.